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Grande fut l’indignation de Guillaume et de Mary. Heureusement pour la princesse, Godolphin était toujours grand trésorier et incapable de violer une loi, sinon Anne eût été en grand danger de perdre une bonne partie de ses revenus. Toutes les petites blessures qu’on put lui faire en dehors de cela lui furent infligées ; on lui retira sa garde d’honneur, les ambassadeurs durent s’abstenir de lui faire leur cour, les maires des villes où elle passait reçurent l’ordre de ne lui rendre aucun honneur, et les courtisans s’éloignèrent, tout naturellement. Toutefois l’opinion publique fut sévère pour la reine, et il fallut sa conduite énergique, qui, peu après, sauva l’Angleterre d’une invasion française en l’absence du roi, pour ramener les esprits vers elle. Quant à la princesse Anne, que lui importait tout cela, puisqu’elle conservait sa chère Freeman ? « Lorsque, désolée de la voir si indignement traitée à cause de moi, raconte celle-ci, je la suppliai de me permettre de partir, elle fondit en larmes, me déclara que la mort seule pouvait la séparer de sa chère Mme Freeman, et quand je la priai de consulter le prince de Danemark pour savoir si ses sentimens s’accordaient avec les siens, elle m’écrivit : « Pour obéir à ma chère Freeman, j’ai dit au prince tout ce qu’elle désirait ; il m’aurait affermie dans ma résolution, si c’eût été nécessaire ; et nous vous supplions tous deux de ne plus parler d’une chose si cruelle ; Non, ne croyez pas que je cède jamais ; votre fidèle Morley peut attendre patiemment le retour des beaux jours ; permettez-moi de vous prier encore une fois de ne plus parler de séparation, car cela seul peut me rendre malheureuse ; aussi longtemps que vous serez bonne pour moi, rien ne me sera une sérieuse mortification, et puissé-je n’avoir un moment de bonheur en ce monde, ni dans l’autre, si jamais je vous suis infidèle ! »

Quoi qu’il en soit, la réconciliation entre les deux sœurs n’eut jamais lieu, malgré les efforts de la pauvre princesse, qui aimait la paix. Un seul lien rattachait encore quelque peu les divers membres de la famille royale ; c’était le jeune duc de Glocester, le dernier survivant des enfans de George et d’Anne, l’héritier présomptif de la couronne. Même pour lui, cependant, la reine ne voulut faire aucune concession. Si l’enfant était malade, elle envoyait prendre de ses nouvelles, en ordonnant qu’on passât devant la mère « sans plus s’occuper d’elle, que si elle était une berceuse, » dit lady Marlborough.

En 1695, la reine mourut de la petite vérole, sans avoir voulu revoir sa sœur. Guillaume fut si profondément affligé de cette perte, qu’Anne mit de côté tout grief et lui écrivit. Un rapprochement s’ensuivit et bientôt Marlborough rentra en grâce. Sceptique et pratique, le roi se montrait volontiers indulgent pour les hésitations