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où des espions intéressés entendaient et rapportaient des propos fort désagréables à Guillaume, qu’on appelait Caliban, à Bentinck, l’Homme de bois ; les relations s’aigrissaient chaque jour. Enfin, l’orage éclata en 1692. « Il plut au roi, dit dédaigneusement lady Marlborough dans sa Défense, d’enlever à mylord toutes ses charges sans en donner aucune raison. » On en chercha plus d’une, mais la vraie ne fut connue que bien des années après, lorsqu’on publia les papiers des Stuarts, trouvés chez le cardinal d’York, à Rome. Parmi ces papiers était une lettre de Jacques II, ainsi conçue : « Nov. 1692. Mes amis, l’année passée, avaient dessein de me faire rappeler par le parlement. La manière était concertée et mylord Churchill devait proposer dans le parlement de chasser tous les étrangers, tant du conseil et de l’armée que du royaume. Si le prince d’Orange avait consenti à cette proposition, ils l’avaient entre les mains ; s’il l’avait refusée, ils auraient fait déclarer contre lui le parlement. Mylord Churchill devait se déclarer avec l’armée pour le parlement, et la flotte devait faire de même en me rappelant. On avait déjà commencé d’agir dans ce dessein, quand quelques fidèles sujets indiscrets, croyant me servir et s’imaginant que Churchill n’agissait pas pour moi, mais pour la princesse de Danemark, eurent l’imprudence de découvrir le projet à Bentinck et ainsi détournèrent le coup. »

Il y a tout lieu de penser que lady Marlborough resta étrangère au complot : on la savait trop dévouée à la cause protestante et libérale pour espérer l’en détacher. Néanmoins elle eut sa part de la disgrâce. Bien que son mari, arrêté en Belgique et envoyé à la Tour, eût été relâché, faute de preuves, la reine trouva mauvais que sa sœur gardât la comtesse à son service et permît au comte de vivre près d’elle. Un soir, lady Marlborough suivit sa maîtresse au cercle de la reine. Le lendemain, celle-ci écrivit à sa sœur une lettre fort dure, lui déclarant que sa dame d’honneur ne devait plus rester près d’elle, que l’amener à sa cour était la chose la plus étrange du monde, etc. Qu’on s’imagine le chagrin de la princesse et la colère de son amie, humiliée pour la première fois de sa vie. « Toutes les disgrâces de lord Marlborough ne m’auraient pas empêchée de dormir une seule nuit, avoue-t-elle naïvement ; mais je conviens qu’être renvoyée ne s’accorde guère avec mon humeur. » Aussi la réponse qu’elle inspira à la princesse ne fut-elle nullement de nature à satisfaire Mary. Anne défendit son amie et déclara qu’elle quittait sa résidence près de White-Hall pour se réfugier chez le duc de Somerset, à ce palais de Sion, que l’on voyait encore, il y a peu d’années, au square Trafalgar, avec son lion tournant impertinemment le dos à la cité.