chassé et d’où son grand-père était sorti pour monter sur l’échafaud ! « J’avais l’honneur, dit-elle, d’être de service pour conduire la reine dans ses appartemens ; elle courait partout, examinant cabinets et armoires, retournant les couvertures, comme on fait dans une auberge, et sans paraître réfléchir le moins du monde à ce qui s’était passé. » Pendant ce temps, on agitait la question de savoir comment et à quelles conditions on obtiendrait le désistement de la princesse Anne, et tous les regards se tournaient vers celle qui pensait pour elle. Lad y Churchill, de son côté, pour amoindrir sa responsabilité, consultait l’archevêque Tillotson et lady Rachel Russell, que toute l’Angleterre vénérait depuis le supplice de son mari : « J’avoue, dit lady Churchill, que tout d’abord, je ne vis pas bien la nécessité de cette renonciation, mais je m’aperçus bien vite que tout le monde la désirait et qu’il valait mieux céder de bonne grâce. » Ce qui la décida surtout, c’était la crainte que lui inspirait le caractère incertain de sa maîtresse, son propre éloignement pour le catholicisme, et son amour sincère pour les libertés du pays. Cette jeune femme, dont la vie avait été jusque-là des plus frivoles, dont l’instruction était celle de la plupart des femmes de son temps, c’est-à-dire presque nulle (elle n’apprit même pas le français), qui n’apprécia les livres que fort tard, fit preuve tout à coup d’une intelligence politique remarquable et comprit merveilleusement les aspirations de son pays. Persuadée qu’elle était dans le vrai, elle se jeta passionnément dans la lutte, avec son esprit dominateur, sa parole ardente, son impatience de toute contradiction, mais aussi avec franchise et loyauté. Lorsque l’évêque Burnet lui demandait plus tard, quel avait été son plan, à l’époque de sa puissance : « Je n’en avais aucun, répondit-elle, si ce n’est de faire entrer au service de la reine des hommes honnêtes qui ne nous livreraient pas à la France. En vérité, je n’avais pas de préférence pour whigs ou tories, mais je considérais les principes des whigs comme les meilleurs pour l’Angleterre, et je jure que, plutôt que de conseiller à la reine de revenir au pouvoir absolu, j’aurais préféré renoncer à tout et vivre du petit patrimoine paternel. » Certes, la duchesse de Marlborough ne dédaignait ni les grandeurs, ni la richesse, mais elle était avant tout dévouée à la cause libérale. On trouve parmi les « Notes et Pensées » écrites dans sa vieillesse, le passage suivant : « J’ai toujours pensé que rien plus que la Liberté ne valait la peine de lutter, et j’ai prouvé, à toutes les époques de ma vie, que tous mes efforts tendaient à la servir ; je continuerai tant que je vivrai, mais, hélas que peut une insignifiante vieille femme ? »
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