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après s’être promenés inutilement d’Alexandrie à Port-Saïd, ils n’avaient plus qu’à se retirer, à replier leur pavillon, ne fût-ce que pour ne pas être exposés à se trouver entraînés par quelque incident au-delà des volontés d’un gouvernement encore inconnu. Quelle était, d’un autre côté, la position de notre ambassadeur, M. le marquis de Noailles, à Constantinople ? Il restait sans ordres, sans direction ; il n’était forcément dans la conférence qu’un spectateur, un témoin recevant les propositions, les communications pour les transmettre à Paris. Il se trouvait brusquement désarmé par le vote qui désavouait son chef en lui refusant les moyens d’aller plus loin, et pendant huit jours il a dû attendre des instructions d’un nouveau ministre. C’est, dira-t-on, la loi du régime parlementaire, et il est tout simple qu’un cabinet, avant de s’engager dans une intervention, soumette ses projets au parlement, qu’il coure la chance d’un vote. Non, encore une fois, ce n’est pas le vrai régime parlementaire : il n’est pas tout simple qu’un cabinet qui a la direction d’une grande affaire provoque, par ses tergiversations incessantes, la confusion dans une assemblée nécessairement un peu ignorante des intérêts diplomatiques ; il n’est pas tout simple que, par l’insuffisance d’un ministre, la politique d’un pays soit brusquement bouleversée du jour au lendemain et que notre considération soit à la merci d’un vote qui n’a été, après tout, qu’une réponse aux irrésolutions du gouvernement. Si le régime parlementaire devait être ainsi compris et pratiqué au nom de la république, il créerait à la France une véritable infériorité. Qu’on voie comment procède l’Angleterre, qui, apparemment, est une nation libre et comprend le régime parlementaire. Là le ministère n’a point attendu une direction, il l’a donnée ; il n’a pas cherché à rejeter la responsabilité sur le parlement ; il l’a acceptée tout entière. Il s’est inspiré des grands intérêts du pays, et le jour où il s’est décidé, il a été suivi par tous les partis. Si le gouvernement français avait agi ainsi avec une sage résolution qui aurait été une garantie, il n’aurait pas peut-être été désavoué et il n’aurait pas créé cette situation amoindrie où tout est à reprendre aujourd’hui par le commencement.

Assurément cette situation reste plus que jamais difficile, et le nouveau cabinet s’est borné à interpréter le vote du 29 juillet en disant que la chambre a entendu prendre « une mesure de réserve et de prudence qui n’est point l’abdication. » Il a ajouté d’ailleurs que, s’il survenait des événemens qui parussent engager les intérêts ou l’honneur de la France, il s’empresserait de convoquer les chambres, pour leur soumettre les résolutions que les circonstances nouvelles commanderaient. Au fond, la seule éventualité possible, c’est que la France, non plus par son initiative ou d’accord avec l’Angleterre, mais par suite d’une délibération européenne, soit conduite à participer à une sorte de