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discrétion, aujourd’hui si rare, avec laquelle ils ont usé des documens qu’ils avaient entre les mains. Ils pouvaient faire une édition, ils ont mieux aimé faire un livre. Les amateurs de lettres inédites n’y trouveront pas moins leur compte. Nous leur recommanderons particulièrement un oncle maternel de Mme d’Épinay, M. de Preux, à qui, si ses lettres étaient seulement plus nombreuses, il faudrait faire non pas peut-être une place, mais un coin, à tout le moins, dans la littérature épistolaire de son siècle. Comment se peut-il faire que M. P. Boiteau, dans le temps, n’ait pas ravi par avance à MM. Lucien Perey et Gaston Maugras le plaisir de nous faire connaître cet excellent, tout rond, et plaisant gentilhomme ?

On nous permettra d’attendre à parler de Mme d’Epinay que le second volume de MM. Lucien Perey et Gaston Maugras ait paru. Celui-ci ne va que jusqu’en 1757 et Mme d’Épinay n’est morte qu’en 1783. C’est donc toute une moitié de sa vie qui nous manque. Lorsque MM. Lucien Perey et Gaston Maugras nous en auront donné l’histoire, il sera temps d’y revenir et de marquer quelques points où nous nous séparons d’avec eux. Nous ne voulons pas nous exposer à nous tromper sur Mme d’Épinay, faute de connaître ce qu’il leur reste encore de nouveau à nous en apprendre.

Il est pourtant une observation que nous ne saurions dès à présent nous tenir de leur faire. C’est qu’ils subissent ici beaucoup trop docilement, comme d’ailleurs dans leur édition des Lettres de Galiani, ce qu’ils appellent sans doute la séduction et ce que j’aime mieux appeler la tyrannie de leur sujet. Ils ont la complaisance trop vaste, et la sévérité même trop indulgente. Je ne voudrais point assurément y mettre de pruderie, et j’excuse volontiers avec eux sur le temps, sur les mœurs, sur l’indignité même du mari, s’ils le veulent, « les entraînemens » de la jeunesse de Mme d’Epinay. La fidélité conjugale au xviii » siècle était vertu bourgeoise, et Mme d’Épinay se piquait d’être du monde. Je n’en suis pas moins un peu surpris de lire que « si grandes qu’aient été les erreurs de Mme d’Épinay, elle les a assez noblement réparées pour se les faire pardonner. » Et comment les a-t-elle réparées ? A moins que ce ne soit en demeurant fidèle à M. de Grimm. Auquel cas que veut-on que j’y voie de si noble ? Que MM. Lucien Perey et Gaston Maugras y prennent garde : ils se contentent trop aisément. Leur confiance en l’auteur des Mémoires est trop grande, ils se mettent en tout trop promptement de son côté. S’il y a cependant des chances pour que tout auteur de Mémoires, et même quand ces mémoires sont des confessions, farde toujours un peu la vérité, combien sont-elles plus nombreuses, quand c’est une femme qui tient la plume ? une femme « tendre et sensible ? » et une femme qui sait qu’elle a passé pour « inconstante et capricieuse ? et qui veut s’en défendre ?