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roi dit tout : qu’y pourrai-je ajouter ? » Vraie ou fausse, la légende est philosophique. Les rois ont tort de s’appeler des frères et de se traiter à peine en cousins ; ils compromettent ainsi un prestige qui vaut mieux qu’une province de plus ajoutée par la force des armes à leur empire. Si j’avais été un des conseillers de Napoléon en 1807, je l’aurais engagé à ne pas refuser Magdebourg aux instances de la reine de Prusse. Alexandre fit, suivant moi, de la bonne politique, le jour où, vainqueur de Porus, il lui conserva non-seulement les états dont ce prince avait refusé de faire hommage au fils de Jupiter, mais y adjoignit même, en signe d’estime et de haute confiance, de nouveaux territoires.


: Ce traitement peut-être a droit de nous surprendre,
: Mais enfin, c’est ainsi que se venge Alexandre.


L’armée grecque venait de sortir triomphante d’un immense danger ; il est probable que depuis le jour où elle traversa l’Hellespont, elle n’en courut en aucune occasion de plus grand : la moindre défaite sur les bords de l’Hydaspe devenait, par ses conséquences, un irrémédiable naufrage. Comment Alexandre ne fut-il pas maintes fois submergé, avec sa petite troupe, par le flot qu’il ouvrait si audacieusement devant lui ? Le succès constant de ses entreprises a fait l’étonnement de tous les esprits réfléchis ; il frappe bien plus vivement encore les hommes habitués par état aux hasards si multiples et si imprévus de la guerre. Alexandre n’a peut-être dû qu’à lui-même, au développement spontané de son génie, cette fidélité jusque-là sans exemple de la fortune. Il fut plus heureux que Cyrus et que le fils d’Hystaspe, bien qu’il jouât avec moins de troupes et une autorité beaucoup moins bien affermie des parties tout à fait semblables sur un échiquier analogue. Il faut donc convenir, sous peine de se montrer injuste, qu’il n’y a jamais eu qu’un Alexandre dans l’histoire ; et encore l’Alexandre de l’Inde n’est-il plus l’Alexandre du Granique, il n’est pas davantage l’Alexandre d’Issus et d’Arbèles ; nous le trouverons, si nous voulons y regarder de près, complètement transformé. Son intrépidité, sans doute, est restée ce qu’elle devait être : toujours inaltérable ; sa prudence politique, sa science de tacticien, ont étonnamment grandi ; l’émule d’Achille mérite aujourd’hui de servir de modèle à Charlemagne et à Napoléon. Ces deux grands capitaines pourraient apprendre de lui, je ne dirai pas comment on gagne des batailles, mais comment il peut y avoir profit durable et réel à en gagner. S’il était une partie du monde où le triomphe des armes semblait destiné à des résultats éphémères, n’est-ce pas l’Inde ? n’est-ce pas l’Arachosie et la Bactriane ? Les dispositions adoptées par Alexandre cependant sont si sages, elles