contiennent de renseignemens qui l’éclairent à son tour les archives de Paris, ou de Vienne, ou de Saint-Pétersbourg. La passion a le temps de s’y refroidir. L’esprit de parti cède la place à l’esprit de justice. Les dates, les faits, les desseins mieux connus deviennent autant d’obstacles à la liberté des interprétations. On nous accordera que ce n’est pas là sans doute une méprisable compensation à ce que nous créent d’embarras et de difficultés par ailleurs le nombre toujours croissant, la multiplication, l’encombrement des documens de toute sorte et de toute provenance.
Il nous faudrait ici dresser un véritable catalogue si nous voulions mentionner tout ce qu’il s’est publié depuis quelques années, non-seulement en France, mais à l’étranger, de recueils de documens relatifs au seul XVIIIe siècle. Mais, après en avoir de bonne grâce reconnu l’utilité générale et montré, selon nos forces, une utilité particulière dont on ne s’était peut-être pas encore avisé, nous nous permettons de croire que ces recueils ne prennent leur valeur qu’autant qu’ils sont mis en œuvre. On l’oublie trop souvent, nous l’avons dit et nous le répétons ; et pour tant d’éditeurs de textes, qui se comptent par douzaines, il se rencontre encore trop peu d’historiens. Or s’il est bon de se défier des généralisations hâtives, il ne faudrait pas cependant avoir peur des idées générales. Il est certain que ces vastes généralisations, où les faits sont traités comme une matière vile, bonne tout au plus à recevoir la forme qu’il plaît à l’historien de lui donner, ont jadis été le fléau de l’histoire. Il n’est pas moins certain que les idées générales, qui ne sont après tout que les faits eux-mêmes, dépouillés de ce qu’ils ont d’accidentel et de transitoire et ramenés à ce qu’ils ont d’essentiel et de permanent, sont le support, ou, mieux encore, la substance même de la grande histoire.
Car il y a une grande histoire, comme il y a une grande peinture, et qui, comme la grande peinture, ne dépend guère moins des qualités d’exécution dont l’artiste ou l’historien y fait preuve, que du choix lui-même des sujets. La grande histoire, en France, — et quoi que l’on puisse dire, quoi que l’on ait même dit, jusque dans des discours officiels, de la nécessité d’en finir avec les dates, les batailles et les négociations, — c’est l’histoire extérieure, l’histoire du rôle particulier de la France dans l’histoire générale de l’Europe. Il se peut qu’en Angleterre, par exemple, l’intérêt de cette histoire du dehors et son importance, par conséquent, soient dans une certaine mesure balancés par l’importance et l’intérêt de l’histoire parlementaire. Il se peut qu’en Allemagne encore, la grande histoire consiste plutôt dans l’histoire des idées que dans l’histoire des faits de l’ordre politique. Mais, en France, la grande histoire, c’est l’histoire des relations extérieures ou des affaires étrangères, c’est l’histoire de la guerre et de la diplomatie.