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Dans cette vaste pièce, les portes closes, un diacre était assis, seul, récitant les psaumes de David d’une voix nasillarde et monotone. Des hauts chandeliers d’argent, la lumière crue des cierges tombait sur le front pâle et pur de la morte, sur ses lourdes mains de cire, sur les plis rigides du suaire, tragiquement soulevé par les genoux et les doigts de pied. Le diacre psalmodiait lentement sans comprendre ses paroles ; elles montaient et mouraient avec des résonances étranges dans le silence de la salle. Par momens, arrivaient d’une chambre éloignée des bruits de voix et de piétinemens d’enfans :

« Tu voiles ta face et ils se troublent, disait le psaume ; tu rappelles ton esprit, ils meurent et rentrent dans leur poussière. Tu envoies ton esprit, ils se relèvent et la face de la terre est renouvelée. Gloire au Seigneur dans les siècles des siècles ! »

Le visage de la morte était sévère, majestueux. Rien ne bougeait, ni sur son visage glacé, ni sur ses lèvres étroitement scellées. Elle était tout attention. — Comprenait-elle maintenant ces grandes paroles ?


IV.

Un mois plus tard, une chapelle de marbre s’élevait sur le tombeau de la défunte. Sur celui du postillon, il n’y avait pas encore de pierre ; seule, l’herbe verte couronnait le tertre, unique indice qu’une vie humaine avait fini là.

— C’est mal à toi, Sérioja, dit un jour la cuisinière dans le relais, — c’est mal de n’avoir pas acheté la pierre pour Fédor. Tantôt c’était à cause de l’hiver, et maintenant pourquoi ne tiens-tu pas ta parole ? Ça a été convenu devant moi. Il est déjà revenu une fois te la demander ; si tu ne l’achètes pas, il reviendra et t’étouffera.

— Voyons, est-ce que je refuse ? répondit Sérioja ; j’achèterai la pierre, comme je l’ai promis, je l’achèterai pour un rouble et demi. Je n’ai pas oublié, mais encore faut-il l’apporter. Quand il y aura une occasion pour la ville, je l’achèterai.

— Si au moins tu lui mettais une croix ! ajouta un vieux postillon.

— Vrai, ce n’est pas bien… tu portes ses bottes.

— Où la prendrai-je, la croix ? Je ne peux pas la faire avec une bûche !

— Qui te parle de bûche ? Prends la hache, va dans le bois et coupes-en une. Il n’y a qu’à abattre une petit frêne et tu auras ta croix. Va de bonne heure, sinon il faudra encore donner de l’eau-de-vie au garde. Ce n’est pas la peine de payer à boire pour chaque bêtise. Tiens, l’autre jour, j’ai cassé une volée ; j’ai coupé une