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sur la conscience, mon amie ; mais aussi, combien j’ai souffert ! J’ai tâché de supporter mes maux avec patience…

— Faut-il appeler le prêtre, ma chérie ? interrompit la cousine, — ce vous sera un poids de moins d’avoir pardonné à tous.

La malade inclina la tête en signe d’acquiescement.

— Mon Dieu, faites-moi grâce ! murmura-t-elle.

La cousine sortit ; elle fit un signe au prêtre, et se tournant vers le mari, avec des larmes dans les yeux : — C’est un ange !

Le mari pleurait. Le prêtre passa dans la chambre. La vieille était toujours sans connaissance ; un grand silence se fit dans la première pièce. Au bout de cinq minutes, le prêtre reparut, repliant son étole et relevant ses cheveux :

— Dieu soit loué ! Madame est plus tranquille maintenant, elle désire vous voir.

Le mari et la cousine entrèrent. La malade pleurait doucement en regardant les saintes images.

— Je te félicite, mon amie, dit le mari.

— Merci ! comme je me sens bien maintenant ! quelle ineffable douceur j’éprouve ! — Et un léger sourire erra sur ses lèvres minces. — Que Dieu est miséricordieux ! n’est-il pas vrai ? miséricordieux et tout-puissant ! — Et de nouveau, avec prière fervente, ses yeux pleins de larmes se dirigèrent vers les images.

Subitement, elle sembla se rappeler quelque chose et fit signe à son mari d’approcher. — Tu ne veux jamais faire ce que je te demande, dit-elle d’une voix plus faible et mécontente.

Le mari, tendant le cou, écoutait d’un air soumis.

— Qu’est-ce donc, mon amie ?

— Combien de fois t’ai-je dit que ces médecins ne savent rien ! Il y a des remèdes de bonnes femmes qui guérissent… Tiens, le père me parlait d’un artisan… Envoie chercher…

— Qui cela, ma bonne amie ?

— Mon Dieu ! il ne veut rien comprendre !

La malade fronça les sourcils et ferma les yeux. Le docteur s’avança, lui prit la main. Le pouls faiblissait sensiblement. Cet homme fit un signe au mari. La malade surprit ce geste et les regarda avec effroi.

La cousine se détourna en sanglotant.

— Ne pleure pas, tu te tourmentes et tu me tourmentes, dit la malade ; cela m’enlève le peu de calme qui me reste.

— Tu es un ange ! s’écria la cousine en lui baisant la main.

— Non, embrasse-moi ici, ce sont les morts à qui l’on baise la main.

Le soir de ce même jour, la malade n’était plus qu’un cadavre, couché dans une bière au milieu de la grande salle de l’hôtel.