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main amaigrie le pan de la pelisse de sa suivante, qui lui avait effleuré le pied.

Et sa bouche se contracta douloureusement. Matriocha ramassa sa pelisse à deux mains, se redressa sur ses robustes jambes et s’assit un peu plus loin ; les fraîches couleurs de son visage passèrent au pourpre vif. Les beaux yeux sombres de la malade suivaient avec avidité les mouvemens de cette fille. La dame, s’appuyant des deux mains sur la banquette, essaya de se soulever pour changer de position ; les forces lui manquèrent. Sa bouche se plissa de nouveau, sa physionomie prit une expression d’ironie colère et impuissante.

— Si au moins tu m’aidais !… Non, inutile : je pourrai toute seule. Une autre fois, fais-moi le plaisir de mettre derrière moi d’autres coussins que les tiens… Allons, c’est bon, n’y touche pas, puisque tu ne sais rien faire.

La dame ferma les yeux, puis les rouvrit subitement et regarda sa femme de chambre. Matriocha l’observait en se mordant les lèvres. Un soupir douloureux souleva le sein de la malade et s’acheva en un accès de toux. L’accès passé, elle referma les paupières et reprit sa pose immobile. Les deux voitures entraient dans un village. Matriocha sortit sa grosse main de ses jupes et se signa.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda sa maîtresse.

— Le relais, madame.

— Je te demande pourquoi tu te signes ?

— Il y a une église, madame.

La malade se pencha vers la portière et se signa lentement en regardant de tous ses yeux la grande église du village devant laquelle la voiture passait. — Les deux équipages s’arrêtèrent au relais ; de la calèche descendirent le mari de la malade et un médecin. Ils vinrent à la berline.

— Comment vous sentez-vous ? demanda le médecin en tâtant le pouls.

— Eh bien ! comment cela va-t-il, mon amie ? tu n’es pas fatiguée ? Veux-tu sortir ?

Ces questions furent faites en français par le mari. — Matriocha, ramenant ses paquets, se serrait dans l’angle pour ne pas gêner les interlocuteurs.

— Comme cela, toujours la même chose, répondit la malade. Je ne sortirai pas.

Après être resté un instant, le mari se dirigea vers la maison de poste et y entra. Matriocha, sautant à bas de la voiture, courut dans la boue sur la pointe des pieds et gagna la porte.

— Parce que je suis souffrante, ce n’est pas une raison pour que