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I.

C’était l’automne. Sur la grande route, deux équipages trottaient bon train. Dans la voiture de devant, deux femmes étaient assises ; une dame maigre et pâle, une femme de chambre très forte, au teint sanguin et luisant. Sa main rouge, sortant d’un gant déchiré, rejetait vivement en arrière des cheveux courts et secs qui s’échappaient de dessous un chapeau fané. Sa poitrine rebondie, couverte d’un fichu de laine, respirait la santé ; ses yeux noirs, sans cesse en mouvement, suivaient à travers la vitre les champs qui fuyaient, ou se reportaient à la dérobée sur la dame et fouillaient les angles de la voiture. Le chapeau de la maîtresse, accroché au filet, se balançait devant le nez de la suivante ; un petit chien dormait sur ses genoux ; ses pieds relevés reposaient sur les cassettes qui garnissaient le fond de la berline et s’entre-choquaient avec un petit bruit sourd couvert par le tressautement des ressorts et le tremblement des vitres.

Les mains croisées sur les genoux, les yeux fermés, la dame ballottait faiblement sur les coussins amoncelés derrière son dos : des quintes de toux fréquentes amenaient une légère contraction sur ses traits. Elle était coiffée d’un bonnet blanc, un fichu bleu était noué sur sa gorge fluette et pâle. Une raie droite, visible sous le bonnet, partageait des cheveux blonds, lissés à plat ; la blancheur de la peau, sur cette large raie, avait quelque chose de mort et de desséché. Des chairs flétries et plombées, rougies sur les pommettes des joues, s’adaptaient mal à l’ossature élégante et fine du visage. Les lèvres étaient sèches et inquiètes, les cils rares et droits ; une capote de voyage en drap dessinait ses plis réguliers sur la poitrine affaissée. Bien que ses yeux fussent clos, le visage de la voyageuse gardait une expression de fatigue, d’énervement et de souffrance habituelle.

Un domestique dormait, pelotonné sur le siège ; le postillon, criant à tue-tête, poussait quatre forts chevaux ruisselans de sueur ; de temps à autre, il se retournait pour voir le postillon de la calèche quand les cris de ce dernier arrivaient jusqu’à lui. Les larges ornières parallèles, imprimées par les roues dans l’argile boueuse de la route, se déroulaient égales et rapides. Le ciel était humide et froid ; un brouillard glacé s’étendait sur les champs et le chemin. Dans la voiture régnait une lourde atmosphère imprégnée d’eau de Cologne et de poussière. La malade renversa la tête et ouvrit lentement les yeux, de grands yeux brillant d’une belle couleur sombre.

— Encore !… dit-elle en repoussant nerveusement de sa jolie