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descente est pire que la montée. Il n’y a aucun sentier, mais une paroi de rochers inégaux remplis de trous. Nous dévalons dans les pierres, le sable qui roule avec nous ayant parfois des blocs de 1 à 2 mètres à sauter. Si le brave Mahmoud, avec sa force d’Égyptien, ne me soutenait pas par les épaules, les bras et la taille, j’arriverais en débris au pied de la falaise. Enfin moulus, éreintés, déchirés, nous sommes dans la plaine et au Ramesséum, mais si las que même cet admirable édifice nous touche à peine. Je n’oublierai jamais ce retour à travers les champs fleuris, après l’excitation de la journée. A mesure que nous en approchons, les colosses, seuls dans cette étendue de verdure, nous frappent de plus en plus. L’impression de sublime tranquillité qu’ils donnent exerce une sorte de magie. Nous sommes fatigués de ruines, de lieux tourmentés, de poussière des morts, d’atmosphères étouffantes de tombeaux, puanteurs de momies, cauchemars gigantesques, et voici la paix, la lumière, la sérénité exquise de ces deux grandes figures qui ont survécu aux siècles. Elles sont là, veillant, les mains sur les genoux, paraissant sonder l’espace jusqu’aux temples lointains de l’autre côté du fleuve. Il y a vingt siècles, leurs piédestaux s’élevaient à l’entrée de l’avenue de sphinx qui menait au temple magnifique d’Aménophis. Dans ces temps-là, le fleuve n’envahissait pas jusqu’ici et l’allée se déroulait majestueuse, longue d’un quart de lieue. Aujourd’hui ils sont seuls. Tout ce qu’ils gardaient a disparu. Autour d’eux, l’émeraude des prés, la senteur des fèves, la grande ombre portée, fraîche, invitant au repos sous cet auguste patronage, ont remplacé le passé. Derrière, au loin et comme un doux repoussoir, se profilent les murailles roses de la falaise que nous descendions tout à l’heure. On oublie leur dilapidation, — car ces géans sont eux-mêmes la ruine d’une ruine, — mais l’harmonie de leur merveilleux rapport avec ce qui les entoure durera toujours. Est-ce là le secret de leur charme infini ? Je le croirais, car de loin comme de près, vus de tous les points, ce charme subsiste, bien que leurs visages soient presque entièrement mutilés. Le ciel, sans nuages tout le jour, se strie de rouge et d’or. Il faut rentrer. Nous traversons les grands prés, puis des files interminables de moutons, agneaux naissans et vieux béliers, fourrés comme des ours, qui se précipitent entre les jambes de nos petits baudets. Comme ce matin, le bac ; on hisse les ânes, on nous porte ; nous retraversons l’île, le Nil, et rentrons morts de fatigue après cette écrasante journée.


Vendredi, 20 janvier.

La fatigue de la veille avait été si grande qu’il a fallu nous reposer hier en flânant dans le village et sur la berge où sont