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adresse un sourire, quel charmant et gracieux salam en retour ! Les gens de l’équipage surtout sont mes amis. Le pauvre reïs, notre capitaine, qui partage avec son second le gouvernail et le commandement, a mal à la jambe. Ce sont de ces terribles boutons du Nil, très douloureux. Il me montre cette pauvre jambe enflammée et me demande un remède. J’ai dans ma pharmacie de voyage une drogue avec laquelle je le panse et qui le soulage. Aussi sa gratitude est extrême, et son beau sourire me suit chaque fois que j’approche du gouvernail. Matin et soir nous recommençons le pansement. Ma renommée et celle de ma drogue s’étendent. Un des chauffeurs, grand fellah à la douce figure souriante comme une des têtes de dieux gravées sur les murs d’Edfou, m’apporte piteusement son doigt à réparer. Il s’est coupé d’une manière effroyable. Le remède réussit aussi, surtout parce que j’exige qu’on se serve préalablement de moja, car le lavage est indispensable. D’autres viennent se faire soigner. Les pauvres gens ont presque tous des maux aux jambes, aux bras, aux yeux. Ils font presque nus les plus durs travaux, mangent à peine, et, outre les accidens journaliers, le bouton du Nil les atteint fréquemment. Ils sont si reconnaissans des moindres bontés ! Dès qu’il s’agit d’aller à terre, mes deux amis le reïs et le chauffeur ne me quittent plus, me soutiennent sur la planche vacillante à peine jetée sur la rive, me portent à travers et par-dessus les monticules de boue sèche qui s’émiettent à chaque pas. Toute cette bonne grâce, la courtoisie de ces braves gens qui nous entourent depuis huit jours ajoute infiniment au charme du voyage. Pour quelques cigarettes ou des bonbons, qu’ils adorent, leurs salams et le kataliéra kétir ! (merci beaucoup ! ), répété avec un brillant sourire, me font chaque fois le même vrai plaisir. Que nous allons vite ! Edfou est presque aussitôt dépassé qu’approché, et la lanterne magique se déroule avec une rapidité désolante. Tous ces villages pittoresques que nous voyions longuement la semaine dernière filent comme des rêves entrevus. Nous distinguons la place publique ombragée de sycomores et longeant le Nil, une maison blanche plus haute que les autres, — celle du cadi ; — devant la porte, quelques personnages accroupis, un bouquet de palmiers, et nous sommes déjà loin. Les femmes qui viennent en file puiser de l’eau s’arrêtent à la rive, la gargoulette sur la tête, pour nous voir passer : les gamins, quelques-uns à l’état de nature, courent le long de la berge en nous criant : Bakchich ! Quand la chaussée est très haute et nous domine, nous voyons parfois les processions de chameaux chargés de verdure ou montés par d’immobiles conducteurs se découpant nets contre le ciel ; ils se profilent si distinctement que nous pourrions compter chaque gland de leur selle, chaque poil de leurs oreilles touffues. Le