Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 52.djvu/890

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des vestibules aux plafonds peints d’étoiles et d’emblèmes, des cours de différentes grandeurs soutenues par de belles colonnes et sculptées de dieux colossaux ; des petites salles, les unes obscures, d’autres inondées de lumière, toutes brodées d’hiéroglyphes. Autour de l’édifice une sorte d’étroit corridor à ciel ouvert, dont les parois à une hauteur énorme sont entièrement ornées de bas-relief. La profusion d’emblèmes et d’inscriptions est inouïe, et la somme de travail dépensée ici comme à Esnèh dépasse la mesure de l’industrie humaine et me rappelle celle des polypes qui créent le corail. Le temple est dédié surtout à Horus, « le dieu du ciel, l’épervier d’or, fils d’Osiris, » Le grand épervier qui surmonte le portique est encore presque intact et parfait, avec ses délicates lignes tracées de bleu et de rouge.

Pendant que nos compagnons gravissent un des pylônes par un escalier intérieur, je reste à jouir de l’émotion qui m’a saisie. Il semble que, remontant de deux mille ans le passé, on pourrait presque reconstruire ici une vivante réalité. Le même ciel limpide et profond, la même lumière dorait ces colonnes. Une longue procession de prêtres, sortant du sanctuaire et traversant cette vaste cour pour aller vaquer aux mystères sacrés, semblerait encore toute naturelle. À ce moment, la grille s’ébranle et de beaux vieillards aux robes flottantes s’approchent. Mais ce ne sont pas les prêtres de Hathor ou d’Horus. Ce ne sont que les notables du village qui apportent au consul leurs complimens et le café obligatoire. Nous regagnons le bateau, et jusqu’au soir le paysage se déroule assez semblable ; une succession de shadoufs ou de sakkièhs ; du sable, de longues stries jaunes d’or, où le vent fraîchissant soulève des colonnes de poussière qui se poursuivent. Puis des rochers, des coteaux sablonneux. De temps à autre, des groupes de palmiers doums, aux troncs tordus, de dattiers, d’acacias aux grappes jaunes, font un tableau délicieux. Il y a toujours quelque chose à voir sur les bords du Nil. Tout ce qui est sur la berge se détache contre un ciel lumineux : une file de chameaux, un groupe d’ânes, des enfans qui jouent, un homme qui prie. L’extrême netteté de l’ombre frappe ici autant que la lumière. Je me rappellerai toujours chaque figure que j’ai vue passer au désert. Les femmes voilées gardant leurs chèvres ou venant en processions puiser de l’eau dans leurs cruches ventrues : l’homme en manteau brun, guidant son âne par les défilés sablonneux, ou disparaissant entre les rochers qu’il gravit lentement. Vers le soir, nous sommes à Gébel-Silsileh, le pays des carrières, et notre bateau jette l’ancre pour la nuit. Il fait encore assez jour pour visiter les curieux spéos, petits temples funéraires excavés dans le rocher. La solitude ici est complète. Le pays est au sable, le jour ; aux chacals, la nuit. Le Nil, resserré entre des parois de rochers, a