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et d’élevage, présentent de meilleures conditions morales que les parties immédiatement avoisinantes livrées aux cultures céréales. On est moins tempérant, je l’ai remarqué précédemment, dans les cultures industrielles que dans les autres ; il y a de cela une raison en quelque sorte extérieure ; ces ouvriers prennent le plus souvent leurs repas dans des cantines, tandis qu’il arrive plus fréquemment, dans la culture des céréales, qu’ils le prennent à la ferme sous l’œil du fermier. Moins il y aura d’ouvriers vivant en dehors de la famille et de la ferme, plus il y aura lieu de s’applaudir.

Aucune culture ne m’a paru valoir la culture maraîchère pour former de bons et judicieux esprits et des mœurs régulières. Elle est partout disséminée en Flandre ; elle a dans l’Artois son principal centre à Saint-Omer et dans la vaste région occupée par les watergands, qui s’étend au sud de Gravelines et au sud-est de Calais, à partir de la rive gauche de l’Aa. Près Saint-Omer même, Lyzel et son territoire offrent un des meilleurs modèles de cette variété de cultivateurs. C’est une brave et honnête tribu que cette population rurale qu’on nomme dans le pays les lyzelards, et qui se répand sur une étendue de plusieurs kilomètres en suivant, depuis Saint-Omer, cet entre-croisement de canaux, bordés de saules, et surmontés de ponts rustiques. Dans cette population, flamande d’origine, nous avons trouvé la culture en famille avec ses conséquences les plus heureuses sur le caractère comme sur le bien-être. Cette culture maraîchère est une excellente école de mœurs. Elle oblige a la prévoyance, elle développe les facultés d’observation à un point extrême. Aucune ne tient le cultivateur plus en éveil. En Picardie, la culture maraîchère a plus d’un foyer, elle en a près d’Arras, par exemple, et près d’Abbeville. Les jardiniers du faubourg de Rouvray, à Abbeville, figurent déjà à la fin du XVe siècle dans diverses chartes sous le nom de hortolani. Montdidier a aussi ses maraîchers et on en trouve encore, soit dispersés, soit agglomérés, dans le département de la Somme, où les jardins et les vergers couvrent 11,000 hectares. Mais le type le plus complet de cette classe de maraîchers, c’est l’hortillon d’Amiens. Ces hortillons qui entourent la ville composent une des meilleures populations de la France. Les familles qui habitent les hortillonnages sont établies là depuis plusieurs générations. Elles se suffisent à elles-mêmes presque sans aucun recours à la main-d’œuvre étrangère. Les femmes de ces maraîchers sont aussi de véritables types de soin comme ménagères, d’activité par la part qu’elles prennent aux travaux comme à la vente ; elles conduisent elles-mêmes au marché d’Amiens sur des bateaux plats les légumes dont elles rapportent le prix à la famille. Qu’on songe que ces petites navigations sur de nombreux canaux