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l'indiscrète ingérence de l’esprit de parti ou de système ne s’en mêle pas trop. Mais on ne peut s’empêcher de trouver un peu pauvre la pâture intellectuelle de ces mêmes campagnes. Les populations du Nord et du Nord-Ouest n’ont pas les ressources du soleil et de l’imagination du Midi. Un livre qu’on lit et relit comme en Angleterre, en Écosse, aux États-Unis, leur fait défaut. Cette source commune, où tous ceux qui savent lire trouvent un aliment moral, pour ces pays, c’est encore la Bible. Pour mille raisons, inutiles à dire, elle a peu de chances de prendre aujourd’hui cette place dans un pays où les populations rurales se déshabituent de lire même l’évangile. On a essayé sans chance aucune de succès, à l’époque de la révolution, de l’enseignement civique donné sous des formes inacceptables. Fera-t-on mieux ? Espérons-le, sans nous dissimuler les difficultés, qui sont grandes. On ne peut ressusciter à coup sûr, relativement à l’histoire, les vieilles légendes. Cette façon naïve d’apprendre et de refaire l’histoire charmait autrefois les populations et gravait dans leur imagination en traits vivans, encore que chimériques, les grands événemens et les grands hommes. Mais l’histoire raisonnable et patriotique, exempte de ces haines qui ne sont qu’une des formes de l’esprit de parti, eu prendra-t-elle la place ? Il faudrait y tendre. Le journal à cinq centimes, aux mains du cultivateur, se charge presque seul de son éducation politique. Il l’y cherche peu, à vrai dire ; ce qui l’intéresse surtout, c’est la chronique des grands crimes, et pourvu qu’il puisse suivre les péripéties des procès célèbres depuis l’arrestation du coupable jusqu’à sa mort sur l’échafaud ou son envoi à la Nouvelle-Calédonie, il tient le plus souvent son journal quitte du reste. Un livre survit pourtant, c’est l’almanach. Encore a-t-il perdu son unité. Il a pris couleur comme tout le reste. Il est difficile de ne pas remarquer que c’est là une alimentation un peu vide. Tout cela soit dit sans contester l’immense utilité de l’instruction dans nos provinces du Nord et du Nord-Ouest, et les services de premier ordre qu’un développement intellectuel supérieur a rendus déjà aux progrès agricoles dont nous aurons plus tard à parler.


II

On ne peut se flatter de trouver pour l’appréciation morale des campagnes une formule qui convienne à tout le monde. Ne savons-nous pas que les uns ont l’heureuse chance de voir partout le progrès, tandis que les autres ont le malheur de voir partout la décadence ? Les populations rurales ont été particulièrement sujettes à ces oppositions de point de vue. On faisait avec elles des idylles au