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Normand ou le Picard ne l’est en général aux charmes de la musique, qui devient une fission chez l’homme des villes. Autrefois l’ouvrier tisserand accompagnait sa tâche solitaire d’un chant souvent plaintif. Le chant est encore fréquemment associé au travail, mais, le plus souvent, il l’est au plaisir et entonné en commun. On ne voit nulle part plus de sociétés chorales, de fanfares, de musique populaire, de concerts de toute espèce. La Flandre est restée un pays de sociabilité. Ce vieil instinct sociable, que le Picard a peu, — si remarquable à côté de ce flegme, de cette taciturnité traditionnelle, a, pendant et depuis le moyen âge, pris bien des formes successives. Aujourd’hui encore il multiplie les associations de toute nature.

Si l’on ne s’associe, on se réunit. Ce genre de littérature populaire qui s’appelle la chanson est le plus abondant de tous en Flandre, et elle sort souvent du cerveau des ouvriers. Elle va de l’atelier gagner la chaumière. Ces petites compositions, légères de fond, sinon toujours de forme, ne sont pas des chefs-d’œuvre ; elles rasent plutôt la terre qu’elles ne prennent haut leur vol : elles ne manquent pas d’ailleurs d’une malicieuse bonhomie et sont volontiers satiriques. Un de ces chants populaires eut un certain succès à Lille au moment où l’économiste Blanqui avait dénoncé avec une sorte d’emportement généreux les caves malsaines de cette grande cité industrielle. Les ouvriers prirent parti pour les caves dans la chanson : La Cuve et le Grenier ; ils étaient surtout frappés des inconvéniens de l’ascension. Ils se moquèrent des « savans de Paris, » lesquels jouèrent un peu dans cette affaire le rôle du personnage qui veut empêcher la femme de Sganarelle d’être battue. Mais les caves furent assainies ou évacuées : c’était la seule chose importante.

Nous pourrions pousser plus loin cette simple esquisse des qualités natives. Voyons ce que l’instruction y ajoute, et quel est à cet égard l’état des populations des campagnes dans ces régions du Nord et du Nord-Ouest.

L’instruction est nécessaire partout ; elle l’est surtout pour les races un peu lourdes. Longtemps elle fut négligée dans ces provinces, où les petites écoles ne manquaient pas, non plus qu’ailleurs, mais où elles étaient peu suivies et portaient peu de fruits. L’instruction primaire ne s’y fonda véritablement qu’à la suite de la loi célèbre de 1833. Aujourd’hui ces département, qui ont eu un peu de peine à prendre leur essor, occupent une bonne moyenne. Qu’on me permette ici quelques chiffres. Dans un relevé récent, nous trouvons la Somme représentée, pour la population scolaire, par un peu plus de 14 pour 100 sur la population totale, l’Oise égalaient, l’Aisne par 13. 7, le Pas-de-Calais par 15.4. Or le chiffre le plus haut pour