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La désignation par provinces nous a paru devoir être conservée. Le département, bien que consacré par près d’un siècle d’existence, n’est et ne restera qu’une expression administrative et géographique. La province, outre le mérite qu’il n’était pas permis de négliger ici, de mieux répondre à la région agricole, demeure encore une personnalité morale à laquelle se rapportent de grands souvenirs historiques et, dans le présent, l’attachement profond de ceux qui y sont nés. Les noms de Provence ou de Touraine, par exemple, disent et diront toujours tout ce que les mots de Bouches-du-Rhône et d’Indre-et-Loire ne réussiront jamais à exprimer.

On a peu étudié les campagnes d’une manière étendue et suivie, soit par une préoccupation trop exclusive de l’a classe manufacturière, soit parce que les documens qui aident à les faire connaître sont eux-mêmes fort dispersés. Aboudans sur l’agriculture, ils sont rares sur les populations qui s’y consacrent. La principale source ne peut être ici que l’observation, c’est-à-dire tout ce qu’il est possible de recueillir sur place-par les yeux ou par le témoignage, relative-mental état moral, à l’Instruction, au régime de vie, à la situation de la propriété, aux salaires, etc. Ce qui détermine essentiellement la valeur des populations, c’est l’état intellectuel et moral, qui décide du bien-être par le bon emploi des forces. On doit tenir pour certain que tant vaut l’homme, tant vaut le pays. Nous devons donc d’abord et avant tout regarder du côté de l’individu et des familles.

La culture intellectuelle et morale suppose un fonds primitif qui agit sur elle et qu’elle modifie à son tour. La race et la tradition forment comme le terrain sur lequel ces populations sont appelées à développer leurs aptitudes. Il y a un esprit et un caractère propres à chacune de ces régions du Nord et du Nord-Ouest. Bien que moins prononcés que ceux du Normand, les traits qui forment le Picard ont été observés de longue date. Si l’on prenait soin de recueillir les anciens documens où ils sont consignés, on verrait que les qualités étaient solides, la tête vive, le cœur droit et bon, la volonté persévérante dans l’exercice d’une activité soutenue. Le type primitif, à mesure qu’on avance dans l’histoire, paraît perdre un peu de l’énergie et de l’initiative qu’il déploie au temps des grandes luttes de l’affranchissement des communes et dans les longues guerres. C’est un effet général de l’effacement provincial qui s’était partout produit. L’Intendant Hignon, tout à la fin du XVIIe siècle, écrit dans son rapport sur la Picardie : « Le caractère principal des peuples de cette province est d’une part la lenteur, l’inaction, l’indifférence, et de l’autre la fidélité, la droiture et la brusquerie ; ils sont peu susceptibles d’inquiétude pour acquérir des biens et des honneurs au-dessus de leur naissance ; ils se contentent d’une possession paisible du peu de bien de leurs pères,