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effets du mauvais œil. Ce qui est fort curieux, c’est que ce succès ne se maintint pas : dans beaucoup de pays, notamment chez les peuples les plus riches et les plus civilisés, l’ambre passe de mode tout d’un coup. Après l’avoir trouvé en abondance dans les tombes d’une époque assez ancienne, on cesse de le voir dans les plus récentes, c’est-à-dire au moment même où, les relations entre les peuples devenant plus fréquentes, il était plus aisé et moins coûteux de se le procurer ; c’est un fait étrange dont M. Helbig nous a donné le premier la raison. Selon lui, tout s’explique par l’ascendant que la Grèce prit sur les Italiens. La Grèce n’a jamais aimé, pour exécuter ses chefs-d’œuvre, à faire usagé de l’ambre, et il est facile d’en comprendre le motif. « C’est un principe fondamental de l’art classique, nous dit M. Helbig, de ne se servir de la matière que pour faire valoir l’idée. On veut que la matière n’ait pas ses exigences propres pour qu’elle puisse obéir entièrement à la volonté de l’artiste. Or, l’ambre ne peut produire tout son effet qu’à de certaines conditions et si l’on respecte les qualités qui lui sont particulières. Il ne se prête donc pas docilement à tout ce qu’on veut faire de lui ; il a cet inconvénient que le brillant de la surface et la transparence du fond nuisent à la perception claire des formes, Voilà ce qui a rendu les Grecs ennemis de l’ambre. C’est par un motif semblable que, tout en se servant du verre opaque, ils n’emploient jamais le verre transparent : ils savent que cette dernière matière ne permet pas de donner aux objets des formes parfaitement nettes et circonscrites, et que, quand on les regarde, les lignes du revers en se mêlant à celles de la face produisent un ensemble confus. » Il faut pourtant remarquer qu’ils n’ont pas toujours été dans ces sentimens. A l’époque homérique, lorsqu’ils ne connaissaient pas toutes ces délicatesses, ils faisaient grand cas de l’ambre et en usaient dans leurs parures. Pour séduire l’inébranlable Pénélope, un des prétendans ne trouve rien de mieux que de lui offrir « un collier d’or avec des grains d’ambre, qui ressemblait au soleil. » Ils ont cessé de l’estimer dès qu’un sentiment plus élevé de l’art s’est éveillé chez eux. La répugnance qu’ils éprouvaient pour cette matière rebelle, ils l’ont transmise à tous peuples qui ont subi leur influence : ce qui prouve à quel point tous leurs goûts s’imposaient à ceux qui se mettaient à leur école, et comme ils faisaient de leurs imitateurs des disciples fidèles. Dans l’Étrurie, dans le Latium, dans la Campanie, tant que l’art grec y est florissant, l’ambre disparaît de toutes les tombes. C’est seulement au début de l’empire romain qu’il redevient à la mode. M. Helbig en conclut qu’à ce moment les traditions classiques sont en train de se perdre, et sa conclusion est légitime. Sans doute on se pique alors d’être passionné pour les arts, le nombre des amateurs qui paient cher les