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tribut sur leur bande héroïque, il ne les remporta pas à si peu de frais ; la plupart périrent dam la traversée de retour : les uns furent entraînés par l’impétuosité du courant ; les autres disparurent engloutis par les remous que, dans la précipitation de leur fuite, ils ne remarquèrent pas ou se trouvèrent impuissans à éviter.

Ce fâcheux incident contenait du moins une utile leçon : il prouvait qu’on ne passerait pas L’Hydaspe comme on avait passé le Tigre, l’Oxus, le Jaxarte et le Gurée ; des outres et des radeaux ne suffiraient même pas ; des barques devenaient indispensables. Alexandre prend son parti sur l’heure ; il expédie Coenns, fils de Polémocrate, vers l’Indus. Cœnus fera rompre le pont de bateaux jeté sur ce fleuve par Éphestion et lui amènera, sur les bords de l’Hydaspe les barques qui vont être, pour la facilité du transport, divisées en plusieurs fragmens. Des moindres on fera deux tronçons ; les autres seront partagées en trois ; on chargera le tout sur des chars, et les ouvriers du camp, dès qu’on leur aura livré ces tranches faciles à réunir, s’occuperont de reconstituer les bateaux dont l’armée a besoin pour traverser le fleuve. Nos canonnières, plus longues probablement que les embarcations qui composaient le pont de l’Indus, sont venues, il est vrai, tout d’une pièce et sans avoir à subir pareille mutilation, du port de Gênes, où elles furent tirées à terre, au lac de Garde, sur lequel on les remit à flot ; mais les trucks d’un chemin de fer sont faits pour porter de plus lourds fardeaux, que les chars à bœufs du Pendjab, et encore fallut-il, pour que l’opération réussît, toute l’Industrie du plus ingénieux de nos amiraux. Le contre-amiral Dupouy essuya mille traverses pendant cet étrange voyage, et peut-être était-il le seul qui, par sa patience et son indomptable énergie, fût capable de conduire cet que de mauvais plaisans appelaient son escadre des Alpes, à bon port. Le plus sûr serait, en semblable occurrence, de prendre exemple sur Cœnus.

Nous avons souvent eu l’occasion de rendre hommage à L’activité d’Alexandre ; ce capitaine, si actif quand les circonstances l’exigeaient, savait aussi au besoin attendre. Sur Les bords de l’Hydaspe, il semble avoir été plus pénétré que jamais de la gravité de la situation. Tout frémit autour de lui : l’Arachosie, les Paropamisades, le pays des Assacéniens, sont à peine domptés ; on. vient de lui amener à l’instant le roi d’une petite contrée limitrophe de l’Indus que Barsaente avait jadis séduit et entraîné dans sa tentative de révolte. Que l’on voie un seul instant la fortune de la Grèce fléchir et de toutes parts les populations vont de nouveau répondre à l’appel de leurs anciens chefs. Jamais il n’a été plus nécessaire : de vaincue, et, dans son armée, Alexandre chercherait en vain aujourd’hui ces regards résolus et confians qui lui promirent tant de fois la victoire. La rivé opposée se montre toute couverte d’hommes et de chevaux ;