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étudier de près. Ce qui ajoute ici à leur importance, c’est que les Romains, à ce moment, devaient être à peu près vêtus comme les Étrusques. Nous savons qu’ils leur avaient emprunté les ornemens de leurs magistrats et les insignes le leurs prêtres. Il est très probable que les particuliers aussi imitaient leur façon de s’habiller. Ils avaient alors trop d’affaires pour s’occuper eux-mêmes de ces graves utilités ; ils manquaient d’ailleurs de cette sorte de finesse et d’esprit inventif qui fait imaginer un costume, et trouvaient tout simple de prendre leurs modes chez leurs voisins. Il ne nous reste plus aucun monument qui puisse nous mettre devant les yeux les Romains des premiers siècles. « Si nous voulons, dit M. Helbig, animer les rues de la grande ville et les voir comme elles étaient les jours de fête, il faut y placer par la pensée les hommes et les femmes que représentent les plus vieilles tombes de Tarquinies. Les femmes s’avancent avec ce haut bonnet bigarré, en forme de cône, qu’on appelait tutulus. Un large ruban le serre vers le milieu de la tête, un autre le fixe sur le front. Une sorte de voile de couleur rouge ou brune pend du sommet du tutulus ou se drape sur l’épaule. Les hommes portent le pileus, qui est un bonnet haut et raide, assez semblable à la coiffure des femmes[1]. » C’est ainsi qu’il faut se représenter les contemporains de Camille et non pas avec ces costumes de fantaisie que leur donnent nos sculpteurs et nos peintres. Ces modes, que les Romains tenaient des Étrusques, durèrent jusqu’au jour où la Grèce leur fit adopter les siennes, et l’on peut même dire que les femmes n’y ont jamais entièrement renoncé. Quand elles quittèrent ce bonnet peu gracieux qu’elles avaient porté pendant tant de siècles, elles gardèrent les rubans qui l’entouraient et en firent un ornement pour enlacer leurs cheveux. Avec la longue robe qui descendait jusqu’aux pieds, les bandelettes furent la parure et la distinction des honnêtes femmes ; on défendit aux courtisanes de les porter. Aussi Ovide, qui veut qu’on sache bien qu’il ne s’adresse qu’aux femmes légères, a-t-il grand soin de dire : « Loin d’ici, élégantes bandelettes, insigne de la pudeur ! je n’ai rien à faire avec vous : Nil mihi cum vitta. »

Le savant professeur de Munich, M. Brunn, fait remarquer avec

  1. Le pileus étant la coiffure des hommes libres, on le mettait sur la tête des esclaves quand on les affranchissait. Il devint ainsi pour les peuples un symbole de liberté. Sur la monnaie frappée par Brutus après la mort de César, on trouve un pileus entre deux poignards avec ces mots : Eidus Martiae, qui rappelaient la date du jour où l’on avait assassiné le dictateur. Pendant notre révolution, on confondit le bonnet de la liberté et le bonnet phrygien qui ne sont pas tout à fait la même chose. Ce dernier, dans les monnaies phrygiennes, coiffe le roi Midas. On l’adopta, dit-on, chez nous, parce qu’il était porté par les Marseillais quand ils entrèrent à Paris en chantant l’hymne de Rouget de l’Isle.