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le moment opportun. Quand ce moment arriva, elle partit d’un tel train, mit dans son élan un tel feu et un tel ensemble que la droite ennemie en fut ébranlée, même avant d’être atteinte. Ce flottement général se convertit bientôt en déroute ; le reste de l’armée sykhe suivit le mouvement de retraite. Les bataillons anglais reçurent en ce moment l’ordre d’avancer : ils se portèrent en masse sur les pièces qui couvraient la position des Sykhs, les enlevèrent du premier assaut et n’eurent plus qu’à se déployer à droite et à gauche pour envelopper l’ennemi qui fuyait. La plaine était littéralement couverte de canons abandonnés, de bœufs, de chariots, de tentes, d’étendards, de marchandises, de morts et de mourans. La poursuite fut poussée jusqu’à une distance de 22 kilomètres et ne fut arrêtée que par la nuit. La perte totale des Anglais atteignait le chiffre de huit cent sept hommes mis hors de combat ; l’armée sykhe était anéantie. Le 30 mars 1849, l’annexion du Pendjab fut solennellement proclamée ; Dhulip Singh, le souverain titulaire du pays, céda ses droits au gouvernement britannique pour une pension annuelle de 1,250,000 francs, se réservant toutefois la liberté de résider où il lui plairait.

Voilà comment se gagne dans l’Inde une bataille moderne et comment s’y conquiert une province. Alexandre va nous montrer de quelle façon un grand capitaine savait, à une époque où la guerre était déjà devenue un art, se servir d’une armée qui ne possédait sur l’armée ennemie aucun des avantages dont pouvaient, à Chillianwallah et à Goujerat, se prévaloir les troupes du général Gough.


III

La prompte soumission de Taxile n’assurait aux Macédoniens que la possession d’une des avenues du Pendjab ; Alexandre fit sommer le souverain réel de ce pays, le rajah Porus, de se reconnaître son tributaire et de venir lui rendre hommage dans son camp. La réponse que rapporta au roi de Macédoine son fidèle héraut, le Grec Cléochârès, ne lui laissa aucun doute sur les dispositions du roi de Lahore ; on aurait prolongé les négociations sans profit ; pour aller plus avant, il n’était désormais qu’un moyen : l’allié de Taxile devait s’ouvrir dans la région des cinq eaux un passage par les armes. Porus avait rangé son armée en bataille sur la rive orientale de l’Hydaspe. Ce fut de tout temps la coutume des Hindous de s’attacher à livrer autant que possible des batailles défensives ; leur stratégie consiste à prendre racine dans le sol. Les forces de Porus se composaient, nous ne croyons pas inutile de le rappeler, — de trente mille hommes d’infanterie, de quatre mille chevaux, de trois cents chars et de deux cents éléphans. Telle est la version à