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ce milliard si amèrement et si injustement critiqué, — la propriété ancienne fut indemnisée, la propriété nouvelle fut sanctionnée. Service mémorable rendu à la paix publique, œuvre de conciliation et de concorde qui est restée, au milieu de nos crises politiques et de nos changemens de gouvernemens, l’indestructible base de notre organisation sociale.

D’après les évaluations les plus plausibles, il faudrait 4 ou 5 milliards pour indemniser les propriétaires anglo-irlandais menacés d’être dépossédés, sinon par une révolution à main armée, du moins par le refus de paiement des fermages. L’Angleterre est assez opulente pour supporter cette énorme dépense. Si elle se l’imposait courageusement, sans attendre que la situation se soit aggravée encore, sans attendre, comme nous le faisons toujours en France, que la force brutale ait tranché la question, n’accomplirait-elle pas un acte de haute prévoyance en même temps que d’audacieuse générosité ? Rien ne coûte aussi cher que la guerre civile. La France n’aurait-elle pas eu tout profit, et pour sa fortune et pour sa grandeur, à payer 2 ou 3 milliards pour opérer pacifiquement la liquidation des biens de la noblesse et du clergé et pour prévenir la crise de 1793 ? Quelle n’aurait pas été, quelle ne serait pas aujourd’hui sa situation dans le monde ?

: Heu ! quantum potuit polagi terræque parari
: Hoc quem civiles hauserunt sanguine dextræ !


Le parlement anglais et le premier ministre actuel d’Angleterre ont prouvé, dans la question de l’église d’Irlande, qu’ils étaient capables d’accomplir pacifiquement une de ces grandes réformes qui d’ordinaire ne s’opèrent que par la violence, de faire, en un mot, une révolution légale. Ils ont commencé et ils continuent paisiblement la liquidation des biens du clergé anglican d’Irlande. Oseront-ils entreprendre maintenant la liquidation des biens appartenant aux propriétaires anglais en Irlande ? La tâche est plus lourde ; elle ne nous paraît pas cependant au-dessus des forces de cette grande école d’hommes politiques qui, depuis Canning jusqu’à Disraeli et depuis Robert Peel jusqu’à Gladstone, transforme progressivement, par une série de réformes savamment calculées, l’organisation politique, religieuse et sociale du Royaume-Uni. La grandeur du but doit encourager à surmonter les difficultés de l’œuvre. Il s’agit de constituer en Irlande une classe de paysans propriétaires. En Angleterre l’organisation féodale de la propriété peut durer encore ; elle peut durer longtemps. Les conditions ne