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« Privilège ! privilège ! » Ce cri, deux siècles auparavant, avait été le signal d’une révolution. Dans la circonstance, il resta sans écho. Les députés irlandais, en poussant jusqu’à l’extravagance leur tactique obstructionniste, avaient lassé la patience de la chambre et du public. On passa l’éponge sur l’irrégularité qui venait d’être commise en votant après coup un règlement autorisant le président à mettre aux voix la clôture dans des conditions déterminées. Le règlement en question n’ayant qu’un caractère provisoire, M. Gladstone a présenté plus tard un projet pour établir d’une manière définitive le régime de la clôture. Une vive opposition s’est produite contre le système, qui choque toutes les habitudes du parlement anglais. La question est encore pendante en ce moment.

Les home rulers ayant refusé de s’incliner devant la décision par laquelle la clôture avait été prononcée, on fit contre eux un nouveau coup d’état parlementaire. On les exclut de la chambre des communes pour le reste de la session. En leur absence, la loi pour la protection des personnes et des propriétés fut définitivement votée le 3 février. Elle donnait au gouvernement, mais pour un an seulement, des pouvoirs très étendus, notamment celui de faire arrêter et emprisonner les citoyens par simple mesure administrative. Nous verrons tout à l’heure que cette disposition ne resta pas à l’état de simple menace. Le cabinet Gladstone, ce cabinet ultralibéral, se voyait donc réduit, tout comme un simple ministère conservateur, à mettre l’Irlande du régime des lois d’exception. Il n’abandonnait pas pour cela sa politique de concessions sur le terrain de la question agraire. Tout au contraire, en ce moment même, il préparait sur la matière un projet plus radical que la loi de 1870, beaucoup plus radical même que le projet qui avait été repoussé par les lords en 1880. Il présenta son nouveau bill agraire le 7 avril 1881 et parvint à le faire voter par les deux chambres, sans grands changemens, avant la fin de la session d’été. Sa politique irlandaise avait donc deux faces ; elle jouait tour à tour, ou même simultanément, deux rôles opposés. D’une main elle frappait, tandis que de l’autre elle offrait la paix. Elle n’a réussi, malheureusement, dans aucun de ces deux rôles ; La loi sur la protection des personnes et des propriétés n’a pas rétabli l’ordre matériel. La loi agraire de 1881 n’a pas résolu la terrible question de la terre. Il est même à craindre qu’elle n’ait rendu plus difficile la solution que l’on continue à chercher. Cette loi, en effet, est un nouveau pas dans la fausse voie où M. Gladstone s’était déjà engagé eh 1870. Elle rend de plus en plus compliquée, de plus en plus inextricable, la situation respective des propriétaires et des fermiers. Elle a été analysée ici même d’une manière tout à fait supérieure il y a un