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d’un propriétaire ou d’un fermier s’appelle le boycottage ; quant à l’homme mis en quarantaine, on dit qu’il est boycotté.

La terreur se répandit parmi les grands propriétaires et leurs agens. Entre l’assassinat et le boycottage, la situation n’était plus tenable. On réclamait du gouvernement des mesures énergiques. Un procès fut intenté aux chefs du parti irlandais, à MM. Parnell, Dillon, Daniel Sullivan, etc., en tout, quatorze accusés : ils furent acquittés. Il n’y avait pas de charges légales contre eux ; ils n’avaient pas conseillé les assassinats, au contraire ; quant à la mise en quarantaine, elle n’était pas prévue par la loi. Le ministère dut chercher autre chose. Il prit le parti de proposer une loi d’exception. Il annonça cette résolution dans le discours du trône à l’ouverture de la session de 1881. Le projet de loi fut déposé par M. Forster dans la séance du 24 janvier. Il portait le titre de bill pour la protection des personnes et de la propriété en Irlande. Il était motivé par « les crimes commis en Irlande et les procédés d’intimidation employés pour amener les populations à obéir à certains ordres, principalement à celui de ne pas payer les fermages, ordres émanés des chefs de la ligue agraire. » Précédemment, M. Gladstone avait demandé à la chambre d’accorder en principe la priorité sur tous les autres bills à ceux qui concernaient l’Irlande. Satisfaction lui avait été donnée à cet égard. Le projet de loi paraissait donc destiné à être voté rapidement lorsque M. Parnell et ses amis imaginèrent une tactique destinée à entraver d’une manière presque indéfinie la marche des débats. Le procédé de la clôture n’existe pas dans le parlement anglais. D’autre part, un bill doit passer par des épreuves assez nombreuses et assez compliquées. Il est donc loisible à tout membre de prendre la parole à chacune de ces épreuves et de rendre ainsi les discussions interminables. C’est ce qui ne s’était jamais fait, du moins sur une grande échelle ; c’est ce que tirent les autonomistes irlandais lors de la discussion du projet Forster. Ils se relayèrent pour parler tour à tour ; et comme ils obstruaient ainsi la marche des travaux parlementaires, leur tactique reçut le nom devenu maintenant classique d’obstruction. Les partisans du gouvernement, de leur côté, se relayaient pour ne pas laisser lever les séances avant qu’un vote fût obtenu. Des deux côtés, on voulait triompher de ses adversaires par la lassitude. Il y eut une séance de vingt-deux heures, le 24 et le 25 janvier, d’un soir à l’autre, il y eut une autre séance qui dura depuis un lundi soir, 4 heures, jusqu’au mercredi matin, 9 heures. On ne sortit de là que par une sorte de coup d’état parlementaire. Le président de la chambre, M. Brand, après s’être concerté avec les ministres, mit la clôture aux voix. Les home rulers quittèrent la salle en criant :