Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 52.djvu/76

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

temps, un mouvement tournant aurait lieu ; le fleuve serait franchi sur un autre point par une colonne légère.

Le détachement chargé de la diversion ne jugea le passage praticable qu’au gué le plus éloigné, AU gué de Wuzirabad ; il y trouva dix-sept grands bateaux, secours imprévu et fort important, car on pouvait ainsi transporter en un seul voyage une partie des troupes sur l’autre rive. Une brigade d’infanterie et l’artillerie traversèrent, en effet, le fleuve dans ces barques ; une seconde brigade essaya de passer à pied. La nuit était très sombre ; la brigade se trouva bientôt égarée au milieu d’un labyrinthe de petits canaux et de flaques d’eau que le fleuve, en se retirant, avait laissées semées dans les sables ; tout ce qu’elle put faire, ce fut de franchir à gué une première et une seconde branche. Il lui fut matériellement impossible de pousser plus loin ; elle dut se résigner à bivouaquer, jusqu’au retour du jour, sur un banc demeuré à sec. La cavalerie tenta le passage avec plus de succès ; elle avait pris soin de jalonner sa route par des perches. Trois soldats cependant se noyèrent durant le trajet. Le reste des troupes ne traversa l’Acésinès que le lendemain. Deux jours après, cette colonne tournante se trouvait en vue de l’ennemi. Contenue par les ordres du commandant en chef, elle se vit obligée de suspendre son attaque déjà prononcée, essuya pendant plusieurs heures, sans tenter d’y répondre, un feu violent d’artillerie, perdit soixante-treize hommes et n’en détermina pas moins, par sa seule présence, un nouveau mouvement de recul chez l’ennemi. Les soldats sykhs, qu’avaient formés les généraux français et italiens de Runjet-Singh, manœuvrèrent ce jour-là comme de vieilles troupes d’Europe ; ils s’évanouirent en silence du champ de bataille, et il fallut plusieurs jours aux Anglais pour retrouver leurs traces.

Le 12 janvier 1349, lord Gough put enfin constater que l’armée sykhe avait pris position sur la rive gauche de l’Hydaspe, entre les villages de Russoul, de Mong et de Chillianwallah. Des renforts successifs avaient porté cette armée de l’insurrection au chiffre de trente mille ou de quarante mille hommes ; les Sykhs disposaient en outre de soixante-deux pièces de campagne.

Nous avions déjà Paras devant nous ; il fallait nous attendre à rencontrer aussi Abisarès. Les troupes de Cachemyr, cette fois encore, se bornèrent heureusement à une attitude suspecte ; elles s’arrêtèrent à 50 kilomètres environ de Russoul et se reportèrent même de quelques kilomètres en arrière aussitôt que lord Gough les eut fait sommer de s’éloigner. Les soldats de Lahore ne profitèrent donc pas. de leur incertain concours ; ils pouvaient à la rigueur s’en passer, car ils occupaient une position réellement formidable. L’arène est à double titre historique et le terrain vaut assurément la peine d’être décrit avec quelque détail ; il a, nous l’avons dit, vu