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dans la saison tardive à laquelle d’involontaires délais avaient acculé les Macédoniens. Alexandre ne rencontrait plus un Hydaspe guéable et la présence de l’ennemi sur la rive opposée lui interdisait, tout autant que la crue du fleuve, l’établissement d’un pont de chevalets ou d’un pont de bateaux. Il fallait surprendre le passage ou l’accomplir de vive force, comme on avait accompli celui du Jaxarte. Jamais opération plus délicate, manœuvre plus périlleuse, ne mirent à l’épreuve le génie guerrier d’Alexandre. La bataille de l’Hydaspe mérite de prendre rang à côté des batailles d’Issus et d’Arbèles ; maint juge compétent parmi les généraux de l’Inde britannique a cru pouvoir la placer au-dessus de ces deux victoires plus retentissantes. C’est la bataille de Wagram de notre héros : rien n’y manque, pas même le séjour forcé dans l’île du Danube.

Chose singulière et bien digne de notre attention ! le terrain qu’a choisi Porus pour y attendre Alexandre est précisément celui sur lequel en 1849 les Sykhs feront subir un sanglant échec aux Anglais commandés par le général Gough. A deux reprises différentes, à deux mille cent soixante-quinze ans d’intervalle, la plaine de Chillianwallah verra se débattre entre l’Occident et l’Orient les destinées du Pendjab. L’armée du général Gough, venant du Bengale, n’avait pas, comme celle d’Alexandre, à franchir l’Hyrdaspe ; pour aller à l’ennemi, il lui fallait franchir un fleuve plus profond et plus rapide encore, — l’Acésinès ; — seulement, elle le franchissait au mois de décembre : à cette époque de l’année, l’Acésinès ne remplit qu’un canal étroit et laisse à découvert plusieurs bancs de sable.

Depuis la mort de Runjet-Singh, survenue en 1844, l’armée des Sykhs ne reconnaissait plus d’autre autorité que celle de ses chefs ; sa turbulence était devenue une menace constante pour la frontière anglaise. La victoire de Sobraon, remportée en 1846 par lord Gough, la contraignit à repasser précipitamment le Sutledje, — l’Hesudrus des anciens, le Satudru, c’est-à-dire les cent courans, des Hindous. — Au mois d’octobre 1848, le gouvernement des Indes résolut d’en finir avec ces bandes insurgées, et, le 9 novembre de la même année, les troupes britanniques, de nouveau placées sous le commandement du vainqueur de Sobraon, traversèrent à leur tour le Sutledje, allèrent camper pendant quelques jours devant Lahore, puis, se portant rapidement des bords de l’Hydraote aux rives de l’Acésinès, poussèrent devant eux les Sykhs, qui jugèrent à propos de se replier derrière ce dernier fleuve. L’armée anglaise possédait un équipage de pont, mais un pont de bateaux ne s’établit pas aisément sur un vaste cours d’eau, semé de nombreux bancs de sable et partagé en quatre ou cinq bras distincts. Examen fait du lit de la rivière, on décida qu’on la passerait à gué. Quatre gués furent reconnus sur un espace de 48 kilomètres ; le corps principal ferait une grande attaque de front ; pendant ce