prise pour un besoin de contradiction systématique ; aimant à plaire et plaisant, il avait quelque coquetterie avec les femmes, que son étrangeté intéressait, et une sorte de paternité douce pour les jeunes hommes qui s’essayaient aux lettres. Sa renommée le soulevait et il s’y trouvait à l’aise comme dans un élément naturel. Il en était heureux et nous en étions heureux avec lui, car malgré ses bizarreries il fut toujours très aimé de ceux qui l’approchèrent ; on eût dit qu’il saisissait les âmes et s’en emparait. Il était joyeux et, sans le dire, fréquentait les coulisses des petits théâtres, causait avec les acteurs, les étudiait, prenait des notes, recueillait les confidences de deux ou trois actrices peu discrètes, car il voulait faire un roman sur ces existences peu connues. Il me disait : « Le Sage seul, dans Gil Blas, a effleuré la vérité : cette vérité, je l’exposerai toute nue, car elle est d’un comique que l’on ne peut se figurer. » À cette époque, il fut invité à Compiègne. On avait oublié que l’ordre de poursuivre l’auteur de Madame Bovary pour outrage à la morale publique et religieuse était parti du cabinet de l’empereur ; Flaubert l’oublia aussi et fit bien ; du reste, les grandeurs ne lui déplaisaient pas, et quand il était à sa place, il ne se sentait pas déplacé. Dans ce monde soumis et rectiligne, il porta l’esprit d’indépendance littéraire qui était en lui plus qu’en tout autre. Un soir, au cercle particulier de l’impératrice, quelqu’un parla de Victor Hugo avec irrévérence. Je ne sais si les paroles exprimaient une conviction sincère, ou si elles n’étaient qu’une tentative de flatterie. Gustave Flaubert intervint et ne se modéra pas : « Halte-là ! celui-là est notre maître à tous, et il ne faut le nommer que chapeau bas. » L’interlocuteur insista : « Mais cependant vous conviendrez, monsieur, que l’homme qui a écrit les Châtimens… » Flaubert, roulant des yeux terribles, s’écria : « Les Châtimens ! il y a des vers magnifiques ; je vais vous les réciter si vous voulez. » On ne jugea pas à propos de pousser l’expérience jusqu’au bout : la discussion fut interrompue, et un des assistans se hâta de donner un autre cours à la conversation. Ce n’est point par esprit d’opposition, comme on pourrait le croire, que Flaubert se jetait ainsi dans la dispute, c’était par devoir professionnel, pour ainsi dire, et par respect pour la poésie. Sur de tels sujets il était intraitable, au risque de ce qui pouvait advenir, et savait que c’est se diminuer que de cacher son opinion.
Lorsque la Revue de Paris fut supprimée, je frappai aux portes de la Revue des Deux Mondes, qui s’ouvrirent avec une