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l’a crayonné de main de maître : « J’ai reçu il y a trois jours la visite de M. Feydeau, qui est un fort beau garçon, mais qui m’a semblé d’une vanité par trop naïve. Il va en Espagne pour y faire le complément de ce que Cervantes et Le Sage ont ébauché ! Il a encore une trentaine de romans à faire, dont il mettra la scène dans trente pays différens ; c’est pourquoi il voyage[1]. » La vanité de Feydeau était en effet d’une telle qualité qu’elle en était inoffensive. Il disait « Nous sommes trois : Hugo, Flaubert et moi. » Un jour qu’il causait avec Flaubert, Bouilhet entra. Feydeau le regarda, le reconnut et lui dit : « Ah ! c’est vous, mon bon Bouilhet ; asseyez-vous ; vous êtes digne de nous entendre. » Je ne sais si Bouilhet « entendit », mais je sais ce qu’il riposta.

La publication de Salammbô marque le point culminant de l’existence de Flaubert ; une longue rémittence de sa maladie nerveuse lui fit espérer qu’il en était délivré ; il avait mis fin à sa claustration, il se répandait, cherchait le monde et y était bien accueilli. Il était de bonne foi et riait de ses petites déconvenues. Il avait été attiré dans une maison princière, où il a trouvé une amitié durable qui lui fut chère. Les femmes l’entourèrent, le choyèrent, le prirent à part et l’une après l’autre, lui dirent : « Dessinez-moi le costume de Salammbô pour le prochain bal des Tuileries. » Il s’en tira bien et désigna Bida. Il m’en parla gaîment et me dit : « J’ai eu un succès de bal costumé. » Les dessinateurs se mirent à la torture pour reconstituer, d’après la description de Flaubert, le vêtement et la coiffure de Salammbô. Le résultat fut d’un bouffon dont ils ne se. doutèrent pas. Le costume de Salammbô est celui que Cléopâtre-Isis porte sur la façade occidentale du temple de Kalabscheh. En 1866, il fut nommé chevalier de la Légion d’honneur ; un double sentiment l’émut, il fut satisfait d’avoir la croix et humilié de la recevoir le même jour que Ponson du Terrail. Il me confia sa peine et je l’engageai à se consoler, l’assurant que de son côté Ponson du Terrail était probablement choqué d’être décoré en même temps que lui. Il reconnut que j’avais raison.

Ce fut alors qu’il eut des recherches de toilette et d’élégance ; nous lui disions qu’il ressemblait à un vieil Almanzor et il en plaisantait avec nous. On s’amusait à lui envoyer toutes sortes de drogues parfumées dont on se frotte le visage et il en avait de bons accès de gaîté retentissante qui le détendaient et remettaient d’aplomb son esprit toujours tourmenté des choses littéraires. Dans aucun des salons qu’il fréquenta il ne passa inaperçu. Quel que fût le sentiment qu’il inspirait, on ne pouvait pas n’être pas frappé de sa force, de son ampleur, de sa bonne foi éclatante que, trop souvent, l’on a

  1. A une Inconnue, 12 mai 1860.