Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 52.djvu/738

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Lui laisse la parole : « Le vieux fou, en prononçant ces mots, se précipita à mes pieds ; il saisit les pus flottants de ma robe entre ses deux genoux comme dans un étau, et, prenant dans la poche intérieure de son habit un portefeuille crasseux, il l’ouvrit et en tira à demi plusieurs billets de banque : « Laissez donc faire à un ami, me dit-il, en le tendant vers moi, et aimez un peu celui qui sent tant de flammes pour vous ! » Il avait les allures d’un Tartufe grotesque. Un moment, je crus que l’hilarité l’emportait en moi sur le mépris ; mais mon indignation fut la plus forte ; du revers de ma main gauche je souffletai le portefeuille, qui alla tomber au bord du feu, et de l’autre je poussai si rudement le vieux cuistre vacillant sur ses genoux qu’il roula à la renverse sur le tapis. Son premier soin ne fut pas de se relever, mais d’étendre précipitamment sa main osseuse vers le portefeuille béant, qui touchait aux cendres chaudes et qui pouvait s’enflammer. J’avoue que j’aurais été ravie de voir flamber ces insolens billets de banque. Je n’invente rien dans la scène que je raconte[1]. » En effet, elle n’invente rien ; mais elle omet de dire que deux de ses amis cachés par elle derrière une porte vitrée garnie de rideaux assistaient invisiblement à l’entrevue et que leur présence ne fut peut-être pas sans déterminer le geste superbe qui repoussa les billets de banque, dont le nombre s’élevait à un billet de 500 francs. L’un des témoins m’a raconté l’anecdote et était assez penaud du rôle qu’on lui avait fait jouer.

Dans ce pamphlet, où la haine, l’envie contre George Sand éclatent à chaque ligne, Louise Colet n’est autre qu’une marquise descendant des anciens preux, ruinée par un procès injuste et réduite à tirer profit des dons poétiques que la nature ne lui a pas ménagés ; elle est tellement et si naturellement inspirée que, dans ses promenades avec Alfred de Musset, ils se jouent ensemble sur l’herbette de l’Hélicon et ne parlent qu’en vers. Nous sommes loin de compte. Elle était née à Aix en 1815 ; son père avait été professeur de dessin à l’école de Lyon ; elle en était fière et elle a signé Louise Colet, née Revoil, jusqu’au moment où ce nom fut compromis dans une aventure peu littéraire. Son mari, dont elle a toujours médit et dont elle a parlé en termes immérités dans Lui, était un excellent homme, passionné de musique, professeur au Conservatoire, doux et pourvu d’une longanimité qui parvint à ne se point démentir. Il y a des gens qui cherchent à faire parler d’eux d’une certaine manière, il y en a qui veulent faire parler d’eux n’importe comment : les uns aiment la célébrité, les autres aiment le bruit. Louise Colet était de cette dernière catégorie : elle avait la réclame ingénieuse et ne reculait devant rien pour éveiller l’attention Dans les

  1. Lui, par Mme Louise Colet, p. 27 ; 1800.