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était la femme : et quelle femme ! nerveuse, volontaire, capricieuse, suivant ses fantaisies, abusant de chaque chose et surtout de la patience d’autrui. Il regimbait contre la domination quasi-maternelle que Sand exerçait sur lui, il s’en échappait, faisait mille sottises comme pour la mettre au défi et revenait harassé, démoralisé, demander secours à la main qu’il maudissait et qu’il adorait. Il l’a dit lui-même : « Je ne suis pas tendre, je suis excessif. » Un mot peindra leur dissemblance. Musset disait : « J’ai travaillé toute la journée ; le soir, j’ai fait dix vers et bu une bouteille d’eau-de-vie ; elle, elle a bu deux litres de lait et écrit un demi-volume. » En effet, George Sand était un écrivain calme, laborieux, déterminant sa tâche et l’accomplissant ; Musset attendait la muse, la cherchait parfois au fond d’un verre, ne l’y trouvait pas, s’impatientait et partait en aventures. Sand avait la sérénité de ces animaux ruminans dont les yeux pacifiques semblent refléter l’immensité ; Musset était un oiseau qui donnait des coups d’aile et cherchait un nouvel essor. Un seul point les rapprochait : une curiosité insatiable. Tandis que l’un s’éprenait d’un chignon ébouriffé et courait derrière jusqu’à perdre haleine, l’autre s’engouait d’une barbe noire qui débitait des théories palingénésiaques. De là beaucoup de fantaisies et néanmoins peu d’indulgence. Une telle union était fragile et fut brisée. Ils se quittèrent, respirant à l’aise comme des gens délivrés d’un supplice. Le supplice leur manqua et ils coururent l’un vers l’autre, se reprirent, s’abandonnèrent de nouveau, se ressaisirent ; ils épuisèrent toutes les douleurs, toutes les frénésies, toutes les violences. Un jour, leur exaltation fut telle et l’accès si aigu que l’on soupçonna Sand d’avoir avalé une fiole de laudanum ; Musset la tint renversée et la força de boire le contenu d’un pot à eau. Il y avait là un témoin qui m’a raconté la scène plus de vingt ans après ; il en était encore troublé.

Lorsque, déjà stérile, Alfred de Musset mourut, le 1er mai 1857, à l’âge de quarante-six ans et demi, son frère Paul se hâta d’aller à Nohant, où habitait George Sand, afin d’obtenir d’elle la restitution ou la destruction des lettres qu’elle conservait. Il était, en effet, d’un haut intérêt que ces lettres fussent anéanties. On a raconté bien des historiettes à ce sujet, il m’est facile de faire connaître la vérité, car je la sais. George Sand, avant de brûler cette correspondance, qui sous plus d’un rapport eût été sa justification, la donna à lire à une de ses amies. L’amie copia cinq lettres, pas plus. Ces lettres, dont j’ai lu la copie, pourraient être publiées sans inconvénient. Il en est une qui contient deux strophes que voici :

: Te voilà revenu dans mes nuits étoilées,
: Bel ange aux yeux d’azur, aux paupières voilées,