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simple ; il n’a pas même obtenu cette modeste satisfaction. Il s’est trouvé, au contraire, dans ce parlement tout républicain, une majorité pour lui déclarer avec une sorte de brutalité que la chambre, « opposée à la création d’une mairie centrale à Paris, » espérait que le gouvernement se tiendrait pour averti. Le coup était rude autant qu’imprévu. M. le ministre de l’intérieur a donné sa démission, le cabinet tout entier a donné sa démission. On s’est bientôt ravisé cependant ; on s’est expliqué. Un vote de confiance préparé par les tacticiens est venu le lendemain relever le ministère, sans rétracter toutefois le vote de la veille contre la mairie centrale, et on s’est cru sauvé. Malheureusement, on avait compté sans le conseil municipal, qui à son tour est entré en scène, qui a voulu relever le défi de la chambre en opposant, lui aussi, un ordre du jour à l’ordre du jour du palais Bourbon. M. le préfet de la Seine Floquet, qui avait donné sa démission comme le ministre de l’intérieur, a fait cause commune avec le conseil municipal et a déclaré plus que jamais qu’il n’avait accepté la préfecture que pour conquérir la mairie ; « sinon, non, » a-t-il dit fièrement : de sorte qu’on était entre deux camps : d’un côté, la chambre, qui représente le pays tout entier, se déclarait opposée à la création de cette fameuse mairie centrale ; d’un autre côté, le conseil municipal votait son ordre du jour contre la chambre, et M. le préfet de la Seine, après avoir donné sa démission, ne consentait à la retirer que s’il recevait une nouvelle investiture de ce conseil en insurrection. Le gouvernement s’est trouvé fort embarrassé et, une fois de plus, il a essayé de se tirer d’embarras en éludant tout, en confondant tout. Il a donné satisfaction à la chambre en annulant l’ordre du jour du conseil municipal, qui était une illégalité, une usurpation, et il a donné satisfaction au conseil municipal en lui laissant son préfet, qui, par un vote de confiance, est devenu une sorte de maire. C’est ce qu’on appelle gouverner !

L’incident est assurément bizarre, et sans avoir une importance démesurée, il a cependant sa signification, sa moralité. Il révèle une fois de plus cette situation étrange, absolument irrégulière et à peu près révolutionnaire où Paris se trouve placé depuis quelques années. Ainsi voilà un conseil municipal qui prétend se mettre en antagonisme avec l’assemblée souveraine du pays et se substituer à tous les pouvoirs. Il tient ses assises, il vote des ordres du jour de censure ou de confiance, il a son journal ; il a aussi son préfet qui n’est resté que sur son invitation ; pour M. le préfet de la Seine, le gouvernement ne compte pas. Le conseil municipal prétend régir à son gré, selon ses passions, une ville comme Paris qui est la capitale de la France et disposer souverainement d’un budget de deux cents millions. Pour le conseil municipal il n’y a ni lois, ni constitution, ni pouvoirs nationaux : Paris lui appartient, et, chose plus bizarre que tout le reste, le