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dire du président du conseil d’hier. C’est l’alternative où M. de Freycinet a conduit la France et où il la laisse. Il faudra bien cependant sortir de là et retrouver un chemin à travers les impossibilités ou les difficultés qui ont été créées.

La fatale erreur commise depuis quelques années par nos gouvernemens a été d’aller devant eux assez étourdiment sans trop savoir où ils allaient et ce qu’ils voulaient, sans se faire une idée précise de ce qui était possible et utile pour notre pays. Sans doute, à l’origine, il y avait à choisir entre deux politiques. On pouvait se dire que la France, après les malheurs dont elle avait été la victime, dans la situation qui lui était faite en Europe, ne devait avoir pour longtemps d’autre pensée que de vivre retirée des mêlées du monde, recueillie en elle-même, uniquement occupée à guérir ses blessures, à réparer ses forces. Ce n’était pas une abdication fataliste, un effacement morose et stérile ; c’était la réserve préméditée d’une nation vaincue, mais toujours puissante, acceptant ce qu’on pourrait appeler un état de disponibilité temporaire plutôt que de briguer des rôles secondaires et inutiles. C’est la politique qui a été suivie heureusement pendant quelques années et que M. le duc de Broglie exposait l’autre jour encore avec éclat au Luxembourg. Il y avait sans doute aussi, surtout après les premières années, une autre politique qui, en étant peut-être moins sûre, pouvait cependant encore être utilement et honorablement pratiquée. Évidemment la France, sans se mêler de tout, sans se jeter avec impatience sur toutes les occasions d’intervention, pouvait choisir certains points du monde où elle avait le droit de maintenir son ascendant. C’était son droit, c’était aussi son rôle, et les points où elle pouvait revendiquer, non une prépondérance d’ostentation, mais un ascendant naturel et légitime, étaient tout indiqués. Dans cette affaire d’Égypte, qui a commencé il y a quelques années déjà, elle avait notamment des traditions, les intérêts les plus sérieux ; elle n’avait pas seulement à protéger une colonie florissante, une œuvre servant au commerce universel des nations, elle avait en même temps le droit de ne pas laisser s’établir en pleine Égypte, au Caire, un foyer de propagandes et d’influences musulmanes plus ou moins ennemies, plus ou moins menaçantes pour sa domination dans le nord de l’Afrique. La France, en cela, n’avait point à se mettre en contradiction avec les intérêts généraux de l’Europe ; elle avait de plus l’avantage de se trouver en complet accord avec l’Angleterre. C’était une sorte de prolongation ou de résurrection de l’alliance occidentale dans des conditions restreintes qui ne pouvaient nullement réveiller les ombrages européens. Sauvegarder des intérêts et des droits légitimes, les défendre par une entente permanente avec le gouvernement britannique, sans se séparer un instant de l’Angleterre, pas plus dans l’action que dans la délibération, c’était donc aussi une politique avouable, plausible,