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représentations des Rantzau et peut-être pour cinquante du Monde où l’on s’ennuie !

C’est, en effet, douze pensionnaires que Mme Broisat toute seule a patronnés sur l’affiche ; encore ne jouait-elle pas dans la pièce principale : n’allez pas croire qu’elle fît Monime, mais Silvia, dans le Jeu de l’amour et du hasard, qui devait égayer la fin de la soirée. Mme Broisat serait parfaite avec moins d’afféterie ; M. Prudhon, qui lui donne la réplique, est de tout point convenable et ne mérite pas d’autre éloge ; c’en est un, croyez-le bien, et la preuve en est que je souhaite à M. Truffier, pour jouer les Marivaux avec convenance, un zèle plus discret et à Mlle Kalb plus d’intelligence du personnage qu’elle est chargée de représenter. M. Davrigny s’est rouillé dans une longue oisiveté ; tiendra-t-il jamais ce qu’il avait promis ? Ces réflexions suffisent à marquer cette fin de soirée, qui, sans être maussade, n’a pas été pleine de délices. Mais la comédie, même classique, garde assez d’avantages aux regards du public : il serait injuste sans doute qu’elle fût traitée par ses interprètes mieux que la tragédie.

C’est ici que vraiment nous trouvons des pensionnaires : aussi bien tous bons élèves, et de ceux que leur maître envoie au concours, sans vif espoir qu’aucun d’eux ravisse un prix d’honneur. M. Silvain, dans sa classe, aura le prix d’excellence, Mlle Dudlay le prix d’application, M. Garnier le prix d’encouragement et M. Dupont-Vernon le prix de persévérance. Tous ces talens suffiraient dans un second Théâtre-Français, dont les comédiens seraient destinés à ne jamais passer dans le premier. Entendons-nous : ils suffiraient à faire honneur au directeur, qui n’aurait pu s’en procurer de plus éclatans. Nulle part ils n’auraient la force de nous intéresser et de nous émouvoir : le seul rôle de Mithridate, pour nous imposer son pathétique, voudrait maintenant un comédien qui eût un peu de génie.

Des critiques, et des plus sagaces, et des plus respectueux, ont écrit, à propos de cette reprise, « qu’il était permis, sans impiété, de considérer Mithridate comme la plus faible des tragédies de Racine, et surtout la plus ennuyeuse. » Ce sentiment n’est pas le nôtre : il ne suffit pas cependant de se récrier contre une telle licence. Si nous n’admettons pas que Mithridate soit une œuvre faible, nous ne pouvons démentir des gens de bonne foi qui ont le chagrin de constater l’ennui chez leurs voisins et chez eux-mêmes ; seulement, nous pouvons trouver de cet ennui des raisons qui ne soient pas tellement au déshonneur du poète, et ce sera, je pense, une meilleure défense de Racine que tous les anathèmes contre ses détracteurs.

On a dit que « de deux choses l’une : ou le spectateur ne connaît pas l’histoire du roi de Pont, et il ne comprend rien au poème de Racine ; ou il la connaît, et il est choqué des inexactitudes et des