le césarisme autoritaire dont il leur vante les bienfaits ne sont pas de nature à leur agréer. Ce sont des produits exotiques qu’ils ne se soucient pas d’acclimater chez eux. Ils ont peu de goût pour un pouvoir immense et tutélaire, se piquant de pourvoir à leurs besoins, d’être le seul agent de leur bonheur et le seul arbitre de leurs destinées, s’occupant d’assurer les ouvriers contre les accidens, de protéger « le pauvre homme » contre ses passions et contre ses créanciers, ayant l’œil et la main partout, multipliant d’année en année ses fonctionnaires, dirigeant les industries, contrôlant les actions, déchargeant la nation moyennant finance du trouble de penser et de la peine de vivre. Les Allemands abandonnent volontiers à leur souverain le soin de choisir ses ministres comme il l’entend ; mais ils désirent qu’en retour leur souverain se mêle aussi peu qu’il est possible de tout ce qui concerne leur métier, leur maison et leur commune. César tient déjà trop de place en Allemagne, et c’est pourquoi beaucoup d’Allemands se sauvent en Amérique.
Le socialisme d’état a un autre défaut auquel ils sont fort sensibles, celui de coûter très cher ; le bonheur à bon marché est le seul qui les attire. On leur parle sans cesse de faire grand, on leur reproche la mesquinerie de leurs pensées et de leurs ambitions. Sans doute, ils sont enchantés d’être devenus un grand peuple mais ils estiment que la gloire qui leur est échue par la grâce du ciel et du prince de Bismarck n’a pas été un don gratuit, ils aspirent à rentrer dans leurs frais. Ils ne croient pas beaucoup à cette pluie d’or que le césarisme fera tomber sur eux. ; ils craignent qu’elle ne tombe que sur certains gros personnages de leur connaissance, que les petits ne passent entre les gouttes. L’économiste Bastiat disait que l’état tel que l’entendent les habiles politiques est une grande fiction en vertu de laquelle tout le monde doit vivre aux dépens de tout le monde. L’Allemand préfère s’en tenir à ce qu’il a, garder son argent en poche, et il se défie de toutes les belles inventions qui font renchérir le pain, la viande et la bière.
Au mois de Juin dernier, dans la discussion sur le monopole du tabac, M. de Bismarck s’est plaint qu’il était bien difficile de gouverner avec un parlement. Il entendait par là qu’il est bien difficile d’en tirer tout l’argent qu’on désire. Il est certain que les parlemens sont quelquefois fort gênans et que M. de Bismarck doit regretter le temps où les rois de Prusse qui aimaient à thésauriser n’avaient pas à compter avec les obliques manœuvres de M. Windthorst, avec les refus brutaux de MM. Richter et Lasker. Nous lisons dans un livre très intéressant et très curieux de M. Braun-Wiesbaden[1] qu’un certain Eckard,
- ↑ Von Friedrich dem Grossen bis sum Fürsten Bismarck, fünf Bücher Parallelen zu Geschichte der Preusslach-Deutschen Wirthschaftspolitik, von Karl Braun-Wiesbaden ; Berlin, 1882.