Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 52.djvu/673

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

entreprendre une pareille œuvre, il importait de connaître à fond cette science moderne. Et M. Littré a prouvé qu’il la possédait dans ses plus intimes détails en jugeant les travaux et les découvertes de ses contemporains. Les questions actuelles lui étaient aussi familières que les questions anciennes. Jamais il n’a cessé d’étudier et il connaissait tout aussi bien la science de 1870 que celle de 1830. Aussi a-t-il pu quelquefois porter des jugemens très profonds sur les grands problèmes scientifiques qui s’agitaient devant lui et empêcher la science d’adopter des théories trop hâtivement conçues. Ainsi, dans plusieurs publications, il a combattu les prétentions de la chimie à expliquer définitivement tous les phénomènes de la vie[1]. Certes la vie des êtres, plantes et animaux, est un grand acte chimique de composition et de décomposition. Les savons modernes ont jeté une vive clarté sur cette vie du globe qui, avec quelques corps simples, engendre l’infinie variété des êtres venant un moment jouir des rayons du soleil, puis rendant leurs élémens à l’éternelle chimie. Les hommes mangent les animaux, les animaux absorbent les végétaux ; en les mangeant ils leur empruntent la force nécessaire à leur vie, puis, cela fait, ils restituent à la terre ces matériaux, qui leur sont devenus inutiles ; la terre les féconde et les fiait absorber par les végétaux, qui nourriront de nouveau l’espèce animale. Et ainsi de suite se continue ce travail de Pénélope, toile toujours sur le métier et ne subsistant qu’à la condition d’avoir ses fils incessamment renouvelés. C’est la chimie qui a découvert les ressorts merveilleux de ce mécanisme. Comme le dit M. Wurtz dans la belle préface de son Traité de chimie biologique, les animaux sont des appareils de combustion et de dépense de force ; ainsi qu’une machine à vapeur, ils brûlent du charbon et versent dans l’air de l’acide carbonique ; tandis que les végétaux sont des appareils de réduction et d’accumulation d’énergie, ils s’emparent de l’acide carbonique de l’air et lui rendent de l’oxygène en faisant du charbon qui sera repris par les animaux. Le foyer de cette élaboration réside dans les organes foliacés des plantes et l’agent est la radiation solaire. Sans le soleil la vie n’existerait pas, pas plus que la chaleur, l’électricité, le mouvement, que la houille produit aujourd’hui. Car cette houille, c’est un amas de végétaux de l’époque géologique qui nous rendent aujourd’hui la force qu’ils avaient empruntée autrefois au soleil. C’est donc cet astre qui, en dernière analyse, met en mouvement tous les rouages de cette vie terrestre ondoyante comme une flamme vacillante à la surface de notre planète.

  1. Littré, de la Science de la vie dans ses rapports avec la chimie. Revue du 1er janvier 1845. — Philosophie positive, article sur M. Ch. Robin, t. XII, 1874, et Journal des Débats, 30 mai 1856 ; article sur Magendie.