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gravité, puis d’un grand débordement de bile et enfin d’un choléra-morbus ; et le public, voulant être plus savant que les médecins, s’attacha à l’idée de l’empoisonnement. Pour éclairer cette question, M. Littré met sous les yeux du lecteur le cadavre à peine refroidi de la grande princesse, ouvre le corps, examine les lésions internes, les compare aux symptômes foudroyans qui ont enlevé la malade et tire un jugement sur cette maladie survenue il y a deux cents ans comme s’il s’agissait d’un cas observé de nos jours. Le récit de l’autopsie est très clair. On trouve sur l’estomac un petit trou aussi net que s’il avait été fait à l’emporte-pièce. Mais cette perforation de l’estomac ne peut pas frapper les médecins de ce temps, et ils croient qu’il est dû à un accident de la dissection. Ils ne voient pas que cette perforation explique pourquoi on a trouvé le bas-ventre plein d’un liquide putride, gras comme de l’huile, l’intestin et ses enveloppes, le foie, mortifiés. C’est cette perforation de l’estomac qui a déterminé une péritonite suraiguë, c’est par elle que la tasse d’eau de chicorée s’est répandue dans le ventre et a provoqué des douleurs atroces, c’est aussi par cet orifice qu’a passé l’huile retrouvée dans le bas-ventre. Rien n’est plus clair que cette observation restaurée par M. Littré ; elle nous explique cliniquement comment, « en neuf heures, l’ouvrage de Dieu s’est accompli. »


III

M. Littré, dans de nombreuses publications, s’est attaché à éclaircir à l’aide de la science moderne les faits merveilleux qui avaient frappé l’attention de l’antiquité ou du moyen âge, et que la médecine actuelle peut expliquer. Il s’est occupé des hallucinations de Socrate qui croyait entendre la voix d’un génie, d’un démon, conversant avec lui et dirigeant ses actions. Et acceptant les idées de M. Lélut, il démontre que le fameux démon de Socrate était une simple hallucination, comme il en survient chaque jour dans le cerveau des aliénés qui conversent avec les rois, les empereurs, les saints, les papes et les êtres divins. Il est fort heureux que Socrate n’ait pas vécu dans notre siècle, car on aurait probablement, pensé que son génie n’était pas une raison suffisante pour garantir de sa folie et on l’eût enfermé dans un asile[1]. C’était aussi un halluciné, mais à un moindre degré, que Pascal. Le 23 novembre 1654, cet esprit troublé eut une vision. Un feu lui apparut de dix heures et demie du soir à midi et demi, et depuis ce jour il prit l’engagement de se livrer tout entier à Dieu. Il écrivit ce pacte avec le Créateur, et après sa mort on trouva cet étrange engagement cousu

  1. Littré, Socrate et Pascal, Pathologie mentale ; (National, 1er août 1856).