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même du Grand Miroir de Vincent de Beauvais, cette immense encyclopédie naturelle composée au temps de saint Louis. Buffon comparait Pline à Aristote, et il faut arriver à Cuvier et à de Blainville pour savoir que cet auteur n’était qu’un compilateur et qu’il n’avait aucune connaissance des sujets qu’il traitait.

Un compilateur plus intelligent, plus soigneux fut Oribase, le médecin de l’empereur Julien. Il nous a conservé des extraits heureusement choisis d’une foule d’auteurs médicaux dont les ouvrages ont disparu. Et, fait bizarre, M. Littré nous apprend qu’une idée religieuse a déterminé la confection de cette collection médicale. Julien voulait restaurer la religion des dieux, aussi désirait-il remettre sous les yeux du public toute la médecine, qui était uniquement païenne. Voilà pourquoi il chargea son médecin Oribase de montrer en un seul corps toutes les richesses médicales conquises sous l’inspiration de ces dieux que le flot emportait[1].

L’Occident, au moyen âge, traduisit ces compilateurs et reçut de leurs mains la médecine de Cos, d’Alexandrie et de Rome. Il est vrai qu’au milieu des luttes, des guerres, des invasions, il fut bien difficile à cette médecine de progresser. Elle resta un enfant, mais c’était un enfant d’illustre origine puisqu’elle avait pour mère la science gréco-latine. C’est devant cet enfant avide de s’instruire que les Arabes se présentèrent, et ils furent les bien venus. Mais qu’apportaient donc ces brillans Orientaux ? Ils apportaient Galien, le grand commentateur d’Hippocrate. C’est Galien qui avait été leur guide unique, et c’est Galien traduit en arabe, puis en latin, qui fut le guide de toute la médecine pendant quatre siècles. Les Arabes ne sont donc, ainsi que nous le dit M. Littré, qu’un incident dans l’évolution historique, puisqu’ils ne firent que toucher l’arbre de la science et bientôt en laissèrent tomber le fruit de leurs mains fatiguées[2]. Le moyen âge accepta aveuglément leur médecine galénique parce qu’il avait besoin d’un maître. Il transforma en dogme absolu les moindres données d’une science traditionnelle qu’il ne comprenait pas bien. Les intelligences étaient asservies à l’autorité des textes comme les manans étaient asservis à celle des seigneurs, comme les seigneurs l’étaient à celle des représentans de Dieu sur la terre. Et alors on délaissait la nature pour ergoter à perte de vue sur les mots, sur les idées échappées à ces libres génies grecs qui, eux, n’avaient connu aucune entrave dans leur recherche de la vérité. Depuis longtemps on croyait que la science était un livre achevé, tout à lire chez les anciens. Au VIIe siècle, Paul d’Égine affirme que

  1. Littré, Journal des savans, août 1852.
  2. Littré, Journal des savans, décembre 1855.