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virtuose de l’ascétisme, passé maître dans l’art de se torturer lui-même. Importuné par des hommages qui inquiétaient son humilité et pour se soustraire à la foule des pèlerins accourus de Syrie, de Perse et d’Arménie, de la Grèce et de Rome, il s’était réfugié au sommet d’une colonne qui avait le double avantage de l’éloigner de ce bas monde et de le rapprocher du ciel. Son habileté gymnastique se riait des lois de l’équilibre. Debout au sommet de sa colonne, il passait le jour à incliner la tête jusqu’aux pieds, et la nuit en prières, les mains levées vers les étoiles. Pour guérir les folies et les misères désespérées de ce temps, il fallait de ces vertus étranges et exaltées qui elles-mêmes touchent à la folie. Debout sur son monument, le Slylite se sentait heureux et libre ; il voyait à ses pieds les vices et les vanités des hommes, « et, ajoute spirituellement notre auteur, nul n’a le droit d’en rire : n’y a-t-il pas de par le monde de plus grands fous que lui, dont chacun se croit au sommet de sa colonne Trajane ? » L’influence de Siméon sur les affaires ecclésiastiques de son temps était aussi grande qu’au moyen âge celle d’un saint François, d’un saint Dominique ou d’un abbé de Clairvaux. Athénaïs lui envoya des ambassadeurs chargés de lui soumettre ses doutes et perplexités. Il répondit : « Sache, ô ma fille, que le diable, voyant les richesses de ta vertu, t’a demandée au Seigneur pour te cribler comme le froment. Le misérable Théodosius est devenu l’instrument de ta tentation… » Et il engageait Athénaïs à s’adresser à un saint anachorète, Euthymius, qui résoudrait tous ses doutes. — Cet autre prophète du désert, tout chenu, vivait dans une laura voisine de Jérusalem. On appelait ainsi un ensemble de cabanes espacées les unes des autres, mobiles comme des guérites, où vivaient les solitaires, qui pouvaient ainsi camper et décamper, portant leur maison sur leur dos. Euthymius fuyait la présence des femmes. Eudocie eut grand’peine à l’atteindre : il la convertit au catholicisme en l’année 446.

Dans la déserte et chaude Jérusalem, séparée de ses enfans, qu’elle savait captifs et misérables, Eudocie s’adonnait aux œuvres pieuses. Elle traduisait les livres de la Bible, elle invoquait aussi le secours des muses de la Grèce et cherchait à se consoler par la poésie. Elle se révèle à nous comme une gracieuse artiste, de bonne et saine culture littéraire, racontant ses pieuses et édifiantes histoires en une langue excellente, sur le rythme d’Homère. Le poème qui nous reste d’elle a pour sujet les amours de saint Cyprien et de sainte Justine, et leur commun martyr à Nicomédie pendant la persécution de Dioclétien. L’idée profonde du poète, c’est l’insuffisance des sciences profanes et leur impuissance, la lutte du bon esprit et de l’esprit malin, la vertu du signe de croix, la conversion et le salut des