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divin vieillard arrêter la peste d’Athènes en allumant de grands feux, comme Empédode et Acron avaient déjà fait avant lui, et les Athéniens lui élever une statue de fer. Malheureusement Thucydide, qui nous a donné une admirable description de cette peste, ne fait aucune mention d’Hippocrate. Même absence de documens pour prouver que le roi de Perse Artaxerxès envoya au médecin de Cos des ambassadeurs chargés de l’attirer à sa cour en lui offrant de riches présens et pour pouvoir enregistrer son refus superbe, exalté par les uns, blâmé par les autres, mais qui en tout cas a été bien rarement imité. C’est encore une pure invention que la vieille légende adoptée par La Fontaine et représentant Hippocrate délégué auprès du philosophe Démocrite, accusé de folie par ses compatriotes d’Abdère :


:…. Hippocrate avisa dans le temps
: Que celui qu’on disait n’avoir raison ni sens
: Cherchait dans l’homme et dans la bête
: Quel siège a la raison, soit le cœur, soit la tête.


Hippocrate n’a donc pas été ce demi-dieu de l’antiquité et du moyen âge, ce « miracle de la nature, » dont on ne prononçait le nom qu’en se découvrant la tête. M. Littré nous a débarrassés de l’Hippocrate merveilleux, il nous en a donné un bien vivant, réel, à l’esprit profond et plein de bon sens, que l’on ne sera plus obligé d’adorer de confiance, mais que l’on pourra admirer sur des textes authentiques.

Quelle est l’œuvre propre d’Hippocrate au milieu des nombreux traités qui forment cette collection hippocratique ? M. Littré et les commentateurs qui l’ont suivi ont démontré que cette collection était une bibliothèque médicale, probablement la bibliothèque entière d’Hippocrate, contenant ses œuvres, celles de son fils Thessalus, de son gendre l’ulybe, et de ses ennemis les médecins de l’école de Cnide. Cette Collection encyclopédique était immense puisqu’au moment où Galien écrivait, on avait déjà perdu plus de la moitié des ouvrages qui la composaient. Dans l’antiquité, les livres étaient bien facilement détruits ; souvent il n’en existait qu’un exemplaire, acheté fort cher par un grand collectionneur de livres, comme le fut Aristote ; quelquefois aussi cet exemplaire passait entre des mains indifférentes qui l’abandonnaient à la moisissure. Il est probable que nous n’aurions aucun des livres hippocratiques si les Ptolémées, rois grecs d Égypte, animés du culte de leur littérature nationale, n’avaient lancé à travers tout le monde civilisé des chercheurs de livres qui apportèrent toutes leurs dépouilles à Alexandrie.

La collection hippocratique est arrivée à Alexandrie, telle que nous l’avons aujourd’hui, dans un désordre qui déroutait déjà les