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art et sans liaison. Enfin c’est lui qui a découvert à la Bibliothèque nationale une traduction latine du célèbre Traité des semaines, que l’on croyait à jamais perdu depuis plusieurs siècles. Grâce à M. Littré, il ne nous manque plus qu’un seul traité, celui des Traits et Blessures, pour avoir la collection hippocratique aussi complète qu’au temps de Galien.

Le texte une fois constitué, il importait de savoir, avant de l’interpréter, à qui on devait l’attribuer ; à Hippocrate, à ses contemporains, à ses successeurs ? Mais d’abord Hippocrate a-t-il jamais existé ? Cet Hippocrate, descendant d’Hercule par sa mère, d’Esculape par son père, fils de dieux et de rois, qui a traité la folie de Démocrite, qui a arrêté la peste, qui a entretenu d’intimes relations avec tous les puissans de la terre, cet Hippocrate légendaire n’était-il pas un produit de l’imagination antique ? C’est ce que soutint en 1804 le citoyen Boulet dans une thèse présentée à la Faculté de Paris. Fort heureusement M. Littré nous a prouvé qu’Hippocrate a parfaitement bien existé. Platon parle de lui dans ses Dialogues et dans le Phèdre : il nous montre qu’il était de Cos, qu’il appartenait à la grande famille médicale des Asclépiades, qu’il enseignait la médecine, que ses leçons n’étaient pas gratuites, qu’il était contemporain de Socrate, et qu’il a écrit des livres. Ces livres, Platon les avait certainement lus, puisque, dans maint passage, il copie les théories médicales du médecin de Cos. Nous avons aussi un témoignage d’un autre contemporain : Ctésias, médecin de Cnide, qui accompagna l’expédition de Cyrus le jeune, critiqua les œuvres d’Hippocrate, et Galien nous a transmis cette critique. Il en est de même pour un célèbre médecin qui suivit de près Hippocrate, Dioclès de Caryste. Aristote, disciple de Platon, parle aussi du grand Hippocrate. On voit donc que non-seulement Hippocrate a existé, qu’il a vécu dans le grand siècle de Périclès, dont il fut un des ornemens, mais que, de son vivant et après sa mort, ses écrits avaient une grande réputation dans toute la Grèce.

Voilà ce que nous savons d’Hippocrate ; pouvons-nous accepter de même toutes les brillantes histoires que les biographes anciens ont accumulées sur le père de la médecine ? M. Littré taille dans la légende à grands coups de ciseaux et, son travail terminé, il ne reste plus rien que ces témoignages contemporains cités plus haut. Certes il était agréable pour les amateurs d’anecdotes de voir Hippocrate, appelé auprès de Perdiccas II, roi de Macédoine, reconnaître que sa maladie était uniquement causée par l’amour secret inspiré à ce monarque par la maîtresse de son père ; mais aucun contemporain ne parle de ce diagnostic divinatoire. Nous aurions aimé voir le