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L'OEUVRE MEDICALE
DE M. LITTRE

Il y a une quinzaine d’années, si vous aviez traversé le petit village de Mesnil-le-Roy, vous auriez pu rencontrer un vieillard robuste, alerte, marchant d’un pas ferme et rapide, la tête nue, les longs cheveux noirs collés aux tempes, le regard profond et incliné à terre. C’était M. Littré qui allait visiter un paysan malade de son cher Mesnil, qu’il aimait tant et qui le lui rendait bien. Pendant vingt-cinq ans, il y fut la providence des malades. C’est là que je l’ai connu, c’est là que j’ai appris à l’aimer et à le vénérer ; car mon père, son élève, était venu se fixer auprès du maître, qui devint et resta son ami le plus dévoué jusqu’à l’heure douloureuse de la séparation éternelle.

Ce modeste village du Mesnil aura eu la gloire d’avoir été le seul endroit où M. Littré ait pratiqué la médecine. Ce maître de tous les historiens de notre science, cet excellent praticien, n’était pas docteur, quoiqu’il eût été dans les hôpitaux de Paris un des internes les plus distingués de son temps. Pendant le cours de son internat, en 1827, son père mourut. Ce cruel événement fut un coup de foudre pour M. Littré. Se sentant seul, obligé de subvenir aux besoins de sa vie et de celle de sa mère, il fut pris d’un grand découragement et pensa que jamais il ne pourrait arriver à s’établir médecin à Paris, malgré les offres pécuniaires que lui firent son maître Rayer et son ami Hachette. Aussitôt le nouveau parti fut pris : le jeune et brillant interne quittait la carrière de la médecine sans en abandonner l’étude. Tout en gagnant sa vie à donner des leçons d’humanités, il suivait en disciple bénévole les cliniques