Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 52.djvu/63

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vainqueur. La clé des mystères de Jérusalem n’est que dans la foi, la piété, l’abandon, le renoncement.

Rien n’y rappelait la Grèce, ni écoles, ni œuvres d’art, ni monumens historiques, sauf quelques ruines du temps des rois juifs et de la domination romaine. Hadrien avait étouffé dans le sang la dernière résistance désespérée des Juifs. A la place du temple antique de Salomon, centre vénéré du monothéisme, s’élevait un temple de Jupiter. Le tombeau du Christ sur le Golgotha avait été comblé et souillé par un sanctuaire de la Vénus la plus vulgaire. Ce n’est que sous Constantin que le temple de la déesse de joie fut démoli et le divin tombeau rendu à la piété des chrétiens. Bannis de Jérusalem, les malheureux Juifs n’avaient pas la consolation d’y pleurer leur sort, d’y pousser des gémissemens en lacérant leurs vêtemens. Des Syriens, des Phéniciens, des descendans de la colonie d’Hadrien composaient la petite population de Jérusalem ; il y avait parmi eux des païens cachés, car la vieille religion de Syrie, le culte d’Astarté et de Mithra, se perpétuait malgré les édits. Un père de l’église, Grégoire de Nysse, nous a laissé un tableau lugubre de la corruption de Jérusalem, contre laquelle il met les pèlerins en garde. Mais le sens idéaliste des chrétiens fervens transformait cette Sodome vivante en un paradis céleste, rempli des divins souvenirs du Golgotha, du Jourdain, de Bethléem[1].

Le pèlerinage d’Hélène et de Constantin avait attiré de nouveau les regards des chrétiens vers Jérusalem. Saint Jérôme s’y fixa en 386, suivi de sa pieuse amie Paula. Des pèlerins d’Occident venaient y terminer leur existence. Hormis l’Egypte, il n’y avait pas de contrée où l’on comptât tant de moines, de nonnes, de solitaires sur les monts, au fond des vallées. L’impératrice Eudocie demeura une année entière à Jérusalem, logée dans un cloître ; elle hantait les lieux saints, visitait, comme les autres pèlerins, les reliques de la passion, infidèle au souvenir d’Homère et s’abîmant dans la contemplation de la croix. Selon la légende, Hélène avait retrouvé en 326 la vraie croix intacte. Cette croix, devenue le symbole de l’empire, de la domination du Christ sur toute la terre, avait prouvé qu’elle était la vraie en opérant des miracles. Les évêques de Jérusalem gardaient ce palladium de la chrétienté dans le saint sépulcre ; ils faisaient un si grand commerce des morceaux de la croix, vendus aux pèlerins en qualité de talismans, d’amulettes, qu’en peu de temps cette croix eût été dissoute si elle n’avait possédé la vertu du renouvellement indéfini. Ces reliques, source de revenus pour le clergé,

  1. On peut comparer ce tableau à celui du voyago plus récent que M. Gabriel Charmes a publié dans la Revue du 15 juin 1881. Bien des traits communs subsistent une distance de quatorze siècles.