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Il est probable aussi qu’elle usa de ce qu’elle avait de pouvoir en faveur de sa patrie à demi anéantie par les barbares. Théodose accorda aux villes grecques des dispenses d’impôts. Cependant Pulchérie, dans son zèle pieux, s’efforçait d’extirper l’hellénisme. Le Christ achevait la conquête de l’Olympe. En 429, la célèbre Minerve d’or et d’ivoire disparut de son temple d’Athènes, et ce qu’elle est devenue, nul ne le sait. — La dernière étincelle de vie antique ne subsistait plus que dans l’Académie de Platon, mais dégénérée en une phraséologie creuse et vide, en une sorte de magie. On la toléra jusqu’au VIe siècle. Justinien n’eut pas la patience d’attendre que l’Académie mourut de sa belle mort, ni assez d’esprit pour supporter dans l’unité de son empire chrétien cette contradiction inoffensive, ce vestige d’un glorieux passé. Il défendit, en 529, l’enseignement de la philosophie à Athènes et confisqua la petite rente académique dont vivaient les professeurs, braves gens qui radotaient, mais d’une telle modération et pureté de mœurs, qu’ils auraient pu servir de modèles aux chrétiens eux-mêmes. Les sept derniers sages de la Grèce, les sept derniers académiciens : Damacius, Simplicius, Eulalius, Priscianus, Hermias, Diogène et Isidore prirent alors une résolution tragique ; ils abandonnèrent l’ombre chère de leurs platanes, et, mal vêtus, mal nourris, émigrèrent vers la Perse lointaine, la contrée des mages. Arrivés à Ctésiphon, le mal du pays les prit tous les sept et ils demandèrent à rentrer dans leur patrie. Par un article spécial du traité de paix qu’il conclut en 533 avec l’empereur Justinien, le roi de Perse, héritier des grands ennemis d’Athènes, le protecteur des derniers Athéniens, stipula qu’ils pourraient revenir à Athènes sans être molestés. Voyant devant eux le prodigieux engloutissement du monde antique, n’y comprenant rien, ils moururent désespérés, sans se douter qu’Athènes redeviendrait un jour le sanctuaire de la civilisation et le joyau du monde.

Un faible lien de souvenirs rattachait à Athènes Athénaïs-Eudocie. Elle se trouva bientôt en rapports personnels avec la cour de Ravenne par les fiançailles de sa fille, âgée de deux ans, avec Vatentinien III, empereur d’Occident, qui en avait cinq : Placidie-Augusta, mère et tutrice de Valentinien, gouvernait l’Occident, comme Pulchérie l’Orient. Les deux empires étaient entre les mains débiles de ces pieuses femmes quand surgirent les deux fléaux destinés à ruiner l’antique civilisation, Genséric et Attila. — M. Gregorovius ne rend pas assez justice à ces barbares, il ne signale en eux que le génie de destruction, tandis qu’ils ont été nos véritables sauveurs, sans lesquels nous serions encore byzantins, l’état de l’Europe serait celui d’une Chine chrétienne, momifiée dans la stupéfaction et dans l’hébétude. Mille ans de barbarie et de moyen âge nous ont sauvés de cette mort vivante.