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ministre, nommer un juge de paix. Or le garde des sceaux est lui-même membre d’un cabinet responsable, issu de la représentation nationale et que celle-ci brise, dès qu’il ne lui paraît plus traduire exactement, dans ses actes et dans son langage, les vœux et les besoins du pays. Ces considérations enlèvent précisément toute raison d’être au troisième système proposé par les panégyristes du régime électif, je veux parler du suffrage universel à deux degrés. Ce mode de suffrage, à tout prendre, vaut en cette matière mieux que les deux autres, et je conçois que, s’il faut subir le régime électif, on se résigne à le leur préférer. Les électeurs du second degré seront peut-être moins faciles à séduire ; ils auront, on peut l’espérer, l’entière conscience de leurs votes et ne choisiront pas, au moins sans le savoir, des ignorans. C’est quelque chose. Toutefois, je me demande si la commission législative d’organisation judiciaire, disposée, on l’assure, à résoudre ainsi le problème, a calculé toute la portée politique de cette innovation.

Le suffrage universel direct a conquis la France et la gouverne depuis plus de trente ans. Ce conquérant sait garder ses conquêtes. Il est, en tout cas, comme la plupart des conquérans, fort ombrageux, fort jaloux de ses prérogatives et tout prêt à les revendiquer. Il va falloir lui faire entendre raison. Nous restituons au peuple souverain, lui dira-t-on demain, le droit de rendre la justice par l’intermédiaire de ses élus. — Je vais donc, répondra-t-il, nommer moi-même les juges. — Pas tout à fait, lui répliquera-t-on : vous nommerez les électeurs qui nommeront les juges. — Le suffrage universel direct à coup sûr ne comprendra pas cette réplique. — Pourquoi, va-t-il s’écrier, ce détour subtil ? Je nomme moi-même mes conseils municipaux, mes conseils généraux, ma chambre des députés, et nul autre, on me le répète sur tous les tons, ne serait plus apte à les choisir. Ai-je donc perdu, du jour au lendemain, mon discernement ? N’ai-je pas fait mes preuves ? Me jugeriez-vous incapable d’élire les magistrats ? — A Dieu ne plaise ! faudra-t-il bien lui répondre. Mais vous avez par-dessus tout le goût de la politique. Nous craignons que vous ne puissiez vous défaire en un jour d’une si ancienne habitude et, comme les élections judiciaires ne ressemblent pas aux élections politiques, nous vous ôtons la nomination directe des magistrats. — Est-on assuré que le suffrage universel ne trouve pas ce langage malséant, irrévérencieux et n’en garde pas rancune au législateur ? — Je ne suis bon, selon vous, qu’à faire de la politique ? Eh bien ! vous ne serez pas surpris si je ne fais que de la politique dans mes assemblées primaires et si je me laisse exclusivement guider par mes fantaisies politiques quand vous m’inviterez à nommer les électeurs du second degré.

Il est à craindre, en effet, qu’il n’en soit ainsi. Puisque le choix