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ne pourra être élu juge ou suppléant s’il n’est âgé de trente ans accomplis et s’il n’a été pendant cinq ans juge ou homme de loi, exerçant publiquement auprès d’un tribunal » (art. 9). « Le juge de paix sera élu (tit. III, art. 4) au scrutin individuel et à la pluralité absolue des suffrages par les citoyens actifs réunis en assemblées primaires, » c’est-à dire par tous les Français n’étant ni serviteurs à gages, ni faillis, ni insolvables, âgés de vingt-cinq ans, domiciliés depuis un an dans le canton et payant une contribution directe de la valeur de trois journées de travail. D’après la loi du 22 décembre 1789 (sect. I, art. 17 et 19), l’assemblée primaire devait en outre choisir les électeurs du second degré, à raison d’un par cent citoyens actifs, nul n’étant d’ailleurs éligible dans cette assemblée s’il ne payait au moins dix journées de travail. La réunion des électeurs du second degré, formant l’assemblée électorale du district, nommait le tribunal de district (loi du 16 août 1790, tit. IV, art. 1). Les premiers magistrats élus sous l’empire de cette loi, dans les derniers mois de l’aunée 1790, furent assez bien choisis : on avait assez généralement songé, dans un élan de bonne foi, de désintéressement et de patriotisme, à nommer de vrais juges, qui ne fissent pas regretter ceux de l’ancien régime.

Qu’arriva-t-il ? Les nouveaux tribunaux, dès qu’ils essayèrent d’appliquer impartialement les lois, furent reniés par leurs électeurs. Les dénonciations ne tarissaient pas. « Citoyens législateurs, écrivait, dès le 28 mai 1791, le directoire de l’Aisne, le peuple élève des plaintes amères contre les nouveaux tribunaux et, nous le disons avec douleur, elles sont justes… Leur partialité est fortement prononcée… Il est évident même que les nouveaux tribunaux ne sont que des émanations des anciens corps judiciaires. Le clergé réfractaire trouve en eux un franc appui, et cette coalition devient formidable. » Trois jours après, le directoire du Cantal dénonçait en termes encore plus vifs le tribunal de Saint-Flour et signalait au pouvoir législatif trois de ses juges comme suspects : « Les esprits sont si exaltés, ajoutait-il, qu’il serait impossible de faire exécuter les jugemens de ce tribunal sans une force considérable. » Le 1er août, le directoire de l’Aude alla plus loin et demanda formellement à l’assemblée constituante de destituer la moitié des membres des tribunaux, « qui sont gangrenés et coalisés à un point qu’elle ne peut concevoir, » tout comme s’ils ne tenaient pas directement leurs pouvoirs du peuple ! Ces dénonciations ne restèrent pas infructueuses. Le corps électoral supportant chaque jour plus impatiemment l’indocilité de ses élus, Jean Debry, en mars 1792, demanda le renouvellement des juges dont le mandat légal n’expirait qu’en décembre 1796 ; il dénonça leur incivisme, et bientôt des députations portèrent leurs sommations à la barre de l’assemblée