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art de représenter au théâtre des scènes de lubricité. Athénaïs était sans tache : cette union fut blâmée seulement par les familles patriciennes qui avaient des filles à marier. Mais Pulchérie trouvait son propre avantage à donner pour femme à son frère une orpheline sans protecteurs. Les noces impériales furent célébrées le 7 juin 421, au milieu des réjouissances publiques, des représentations théâtrales et des courses de char.

La conversion d’Athénaïs pouvait être sincère. Mais quel changement dans sa destinée ! Transportée comme par enchantement de sa petite ville de province à moitié déserte dans le plus beau palais du monde, il lui était permis de penser que Constantinople valait bien une messe. En ce palais de Byzance, Constantin s’était efforcé de surpasser le Palatin de Rome. Au bord du détroit qui sépare l’Europe des rivages d’Asie se dressait la demeure impériale, des escaliers de marbre descendaient jusqu’à la mer ; des navires curieusement ouvragés étaient à l’ancre. Comme le Palatin, la résidence formait un labyrinthe de monumens et de jardins, où le luxe de l’Orient se mêlait aux arts de la Grèce : au centre, la salle du trône ; plus loin « la chambre de porphyre qui recevait les impératrices quand approchait l’heure inquiète où un héritier né dans la pourpre était donné à la misère du monde. » La garde prétorienne campait sous des portiques à toiture dorée. Des portes et des parcs conduisaient jusqu’à l’hippodrome. Puis c’étaient les bains de Zeuxippe, la maison des lampes ou le bazar illuminé de la Corne d’or, le port encombré de vaisseaux chargés des trésors de l’Inde, de la Perse et de l’Arabie, puis encore les immenses forums, des basiliques, des thermes, des colonnades, des obélisques, des arcs de triomphe. M. Gregorovius fait l’inventaire brillant de tant de richesses accumulées.

De même que l’ancienne ville du Tibre, Byzance avait ses sept collines, son capitole. Il ne lui manquait que la grandeur historique. Cette froide imitation était rachetée par sa situation incomparable sur le Bosphore, qui en faisait la capitale du monde gréco-romain. Peuplée de Romains, de Grecs, de Syriens, d’Egyptiens, d’Arméniens, de Juifs, de Huns et de Germains, c’était une ville artificielle, sans nationalité et partant sans âme, une poussière d’individus, un chaos de populations disparates dont le nombre surpassait déjà la population de la Rome d’autrefois. « Paganisme et christianisme, monde à l’agonie et monde ardent et jeune, richesse asiatique et populace pauvre et avide, foi chrétienne et foi chaldéenne, moines semblables à des fakirs et philosophes mendians, raffinemens d’Hellènes et rudesse de Scythes, on trouvait dans ce creuset comme un résidu des religions de l’Orient, les vices et les vertus de l’antique et moderne humanité, le sérieux sombre ou l’hypocrisie de