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quinze cents francs ou reste indéterminé, leurs décisions pourront être réformées par les cours d’appel, composées de magistrats inamovibles et choisis par le chef de l’état. Ces fonctions sont gratuites. Presque nulle part elles ne sont recherchées : il faut généralement adresser des appels réitérés à quelques honnêtes gens dévoués au bien public, qui ne se décident pas sans peine. En effet, les anciens commerçans pensent généralement qu’ils ont acquis le droit de se reposer et ceux qui ne sont pas encore « retirés » ne se soucient guère de dérober à leurs propres affaires une partie de leur temps pour débrouiller et juger celles des autres. Cependant, comme on ne leur demande au demeurant (sauf dans quelques grandes villes) que quelques heures par semaine, et qu’ils peuvent, avec un léger surcroît de travail, s’acquitter de cette nouvelle tâche sans abandonner la direction de leur maison, ils se résignent. Mais ils se résignent parce que leur mandat est très court et que, nommés pour deux ans, s’ils ont été réélus une fois, ils cessent d’être immédiatement rééligibles : ce n’est pas une profession qu’ils embrassent, mais une charge temporaire qu’ils acceptent ou subissent dans l’intérêt du commerce et des commerçans.

Ce qui caractérise les tribunaux ordinaires, c’est qu’ils sont « de droit commun, » c’est-à-dire qu’ils jugent tous les procès, sauf ceux qu’un texte législatif leur a formellement enlevés. Tous les actes de la vie civile relèvent de leur juridiction. Les questions de nationalité, la constitution de la famille, les questions de propriété, l’honneur et la sécurité de tous leur sont confiés. C’est pourquoi des corps de judicature, composés de légistes, ont été, dans tous les pays, institués pour appliquer l’universalité des lois à l’universalité des citoyens. C’est par là qu’il se forme chez un peuple civilisé des traditions et des mœurs judiciaires, sans lesquelles toutes les garanties législatives sont éludées ou faussées et tous les droits tombent à la merci des plus rusés ou des plus forts. Les commerçans ont assurément un intérêt à ce que le législateur arrête avec discernement la composition du corps spécial chargé d’élire la magistrature consulaire ; mais, pour le pays pris en masse, la question est secondaire, et l’on s’en désintéresse assez généralement. Il n’en est pas de même quand il faut décider qui nommera les juges ordinaires et, par conséquent, ce qu’ils seront. D’une part, aujourd’hui comme en 1789, chacun sent qu’on touche à un organe essentiel du corps social ; chacun s’émeut, comprenant que la vie même est en jeu ; D’autre part, les partis, qui se soucient médiocrement d’étendre la main sur la justice consulaire, s’irritent communément d’être mal servis par des corps judiciaires impassibles, formés par le long effort des siècles et par le développement progressif de la civilisation, et sont tentés de s’approprier cette grande force,