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lui du pis qu’il pourra, même s’il est accusé à tort ? » C’est clair : si le juge est dépendant, il fera le bon valet ; s’il fait le bon valet, il rendra des services : donc il doit être indépendant. Jusque-là, tout le monde est d’accord. Mais comment garantir son indépendance ? C’est ici qu’on cesse de s’accorder.

Il y a des hommes d’état auxquels la droiture naturelle du cœur humain inspire une inébranlable confiance. C’est dans le caractère du juge et non dans un texte législatif qu’il faut, à les en croire, chercher cette garantie. On naît avec une âme servile comme on naît avec un corps difforme : la loi n’y peut rien. Quant à l’honnête homme, il domine les événemens et n’a pas besoin qu’on vienne à son aide : Impavidum ferient ruinœ. Je crains, en effet, que quelques-uns ne gardent leur bassesse native en dépit des institutions et ne s’obstinent à s’aplatir quand on a tout fait pour les tenir debout ; je crois aussi que quelques autres ont assez de cœur pour faire leur devoir en dépit des menaces qu’une mauvaise législation leur adresse et des pièges qu’elle leur tend. Mais il ne faut chercher l’homme ni si haut ni si bas. Les candidats aux fonctions de l’ordre judiciaire sont à peu près de la même taille que leurs semblables et doivent ; être traités en conséquence. L’homme, en général, songe à lui-même avant de songer à la république ; or ce qu’on demande au juge, c’est précisément de pensera la république avant de penser à lui. Puisqu’on exige de lui cet effort, il est raisonnable qu’on le mette à même de l’accomplir.


I

La meilleure garantie de l’indépendance fut, aux yeux de nos ancêtres, l’inamovibilité de la fonction. M. Gerville-Réache a sans doute, dans son discours du 8 juin 1882, rappelant certains termes, qu’emploie l’édit d’octobre 1467, cet « acte de baptême de l’inamovibilité, » soutenu que, si Louis XI avait promis de ne pas destituer les magistrats, ce fut « justement pour les rendre dépendans du pouvoir. » Mais ce rusé despote n’avait pas la vue si courte, il se proposa, sans doute, d’associer plus étroitement les parlemens à sa politique ; il voulut par-dessus tout, dans l’intérêt commun du prince et des sujets, fortifier la justice royale. Élever en face et au-dessus de la justice seigneuriale des juridictions stables, puisant dans leur permanence le sentiment de leur dignité, de leur force et de leur indépendance judiciaire, gagnant par là même le respect. et la confiance du pays, d’autant plus capables, de servir utilement la couronne dans l’exercice de leurs pouvoirs politiques, c’était encore un moyen de vaincre le système féodal et d’unifier la France dans la royauté. Les états-généraux de 1484, qui unirent tant de