En 1848, un effort est fait pour porter remède à cette situation. Le cabinet libéral, dirigé par lord John Russell, propose à la chambre des lords une loi spéciale pour autoriser la vente des biens obérés (encumbered estates). Le projet de loi, combattu par certains membres de la chambre des lords, qui tremblaient à la pensée de voir la propriété foncière se mobiliser ou se morceler, est renvoyé à une commission pour être étudié à nouveau et remanié. Il passe enfin en 1849 à la chambre des lords. Porté à la chambre des communes, il est voté par elle à la suite d’un remarquable discours de sir James Graham, l’ancien collègue de Robert Peel, qui s’exprime dans les termes suivans : « Il me paraît nécessaire que des facilités et des encouragemens soient donnés pour favoriser le partage des terres en Irlande. Il importe de rattacher au sol de l’Irlande les populations catholiques de ce pays. Pendant une longue période d’inégalité, les catholiques irlandais, grâce à leur économie et à leur industrie, ont acquis des capitaux considérables qu’ils seraient heureux, j’en suis convaincu, de consacrer à l’achat de biens-fonds. D’un autre côté, une partie des vastes domaines acquis autrefois par suite de confiscations et qui se trouvent entre les mains des protestans, sont obérés de manière à mettre leurs propriétaires hors d’état de remplir les devoirs qui leur incombent. Il faut remédier à cet état de choses. » Les tribunaux créés en vertu de la loi sur les biens obérés commencèrent à fonctionner dès le mois de mars 1849 et siégèrent pendant plusieurs années. Jusqu’en 1852, il avait été vendu 11,024 domaines, représentant une valeur totale de 23,161,093 livres, soit près de 600 millions de francs.
On avait fait quelque chose pour les propriétaires : on n’avait encore rien fait pour les fermiers. La situation de ces derniers était singulière. Pour la comprendre, il faut nous abstraire un instant de nos idées françaises. Les rapports réciproques du propriétaire et du fermier, en Angleterre et en Irlande, sont essentiellement différens de ce que nous les voyons chez nous. Les mots mêmes que nous employons pour exprimer ces rapports, les mots de propriétaires et de fermiers, de baux et de fermages, ne sont pas la traduction exacte des mots anglais. Le landlord n’est pas l’équivalent de notre propriétaire français, pas plus que le tenant ou tenancier n’est l’équivalent de notre fermier. Chez nous, le fermier ne se croit aucun droit de copropriété sur la terre : son seul titre est le contrat passé entre lui et le propriétaire. Ce contrat lui garantit sa jouissance. Par contre, il lui impose des obligations rigoureuses : faute par lui de les remplir, il est déchu. Dans l’organisation féodale de la propriété, telle qu’elle subsiste encore chez nos voisins, il en est tout autrement. M. Paul Fournier, le savant professeur à la faculté de droit